Affaire Pamela Jean : deux policiers accusés en déontologie

 

Pamela Jean, une mère de famille âgée de 27 ans, était originaire de Gros-Morne, en Gaspésie. Vers 2002, elle a donné naissance à un garçon. Vers 2009, elle a débuté une relation amoureuse avec Juan Fermin Palma, un homme qu’elle connaissait depuis environ neuf ans et avec qui elle a partagé un logement situé dans un duplex de l’avenue Hôtel-de-ville, dans l’arrondissement de Montréal-Nord.

 

La relation était cependant parfois houleuse. « Ce n’était pas l’amour infini, il y avait souvent des accrocs. [Palma] était agressif verbalement avec elle », a expliqué le propriétaire du Bar Tropical, à Montréal, où Pamela Jean travaillait comme barmaid. (1)

Il semble toutefois que Palma ne se contentait pas de la violence verbale. En 2011, Pamela Jean a en effet porté plainte contre son conjoint pour voies de fait. Les procédures judiciaires ont cependant avortées après que Pamela Jean eut décidé de retirer sa plainte. (2)

Puis, vers décembre 2012, Pamela Jean a mis fin à sa relation avec Palma et est retourné vivre chez ses parents, à Longueuil.

Cependant, Pamela Jean avait gardé contact avec son ex-conjoint. Selon le propriétaire du Tropical, Pamela Jean et Palma étaient allés prendre une bière ensemble dans son bar le 30 décembre, soit le lendemain du congédiement de la jeune mère de famille.

Le 31 décembre 2012, Pamela Jean devait prendre part au réveillon du nouvel an avec sa famille, à Longueuil, mais elle ne s’est jamais présentée. Pour la famille, qui était sans nouvelles d’elle depuis le 29 décembre, quelque chose ne tournait pas rond, Pamela Jean n’ayant pas l’habitude de découcher sans avertir ses proches.

Morte d’inquiétude, la famille a signalé la disparition de Pamela Jean au Service police de la ville de Montréal (SPVM), le 1er janvier 2013.

« J'ai expliqué le cas à un enquêteur, a déclaré le père de Pamela Jean lors d’une entrevue avec un journaliste. Il a noté le nom de son “chum” et m'a dit qu'il me rappellerait dans quelques minutes. Il m'a rappelé pour me dire que son “chum” lui avait dit qu'il l'avait vue la dernière fois le 29. Il m'a dit que ça faisait deux ou trois jours qu'elle était partie que ça ne faisait pas un mois, que l'on allait attendre encore un peu ».(3)

« Je suis allé à Longueuil, car ça ne voulait pas bouger à Montréal, poursuit-il. J'ai été très bien reçu. Je suis allé avec ma plus vieille. La femme a fait un rapport et dit qu'elle allait procéder tout de suite. Le soir même, la police a interrogé son “chum” ».

La police de Longueuil a aussi lancé un avis de recherche via les médias de masse, demandant l’aide du public pour essayer de retrouver la jeune femme.

La police de Longueuil a toutefois dû transférer le dossier au SPVM puisque la disparition est survenue sur le territoire du corps policier montréalais.

Le 4 janvier 2013, le corps sans vie de Pamela Jean a été découvert dans le logement de Palma.

Quatre jours plus tard, Palma était formellement inculpé du meurtre non prémédité de Pamela Jean. (4)

Selon l’acte d’accusation, Palma aurait assassiné son ancienne amie de cœur entre le 30 décembre 2012 et le 4 janvier 2013, ce qui couvre, en partie, la période lors de laquelle la famille de la défunte a contacté la police. (5)

Puis, un mois plus tard, l’accusation a été modifiée, de sorte que Palma se retrouve désormais inculpé  de meurtre prémédité. (6)

Que fait la police ?

L’affaire Pamela Jean a fait réagir les organismes venant en aide aux femmes victimes de violence.

« Ça adresse toute la question de la formation continue des policiers et la concertation entre les différents intervenants », estime Manon Monastesse, directrice de la Fédération de ressources d'hébergement pour femmes violentées et en difficulté du Québec.

« [TRADUCTION] Les policiers nous ont dit à plusieurs reprises qu’ils ne sont pas des travailleurs sociaux et que ce n’est pas leur travail d’évaluer [le risque]. Mais ils sont toujours sur la ligne de front, les premiers à intervenir, dans ce sens, ils ont l’obligation d’évaluer la sécurité de la victime », dit-elle. (7)

Bien qu’elle reconnaisse qu’il y ait eu certaines avancées dans l'approche policière envers la violence conjugale, Manon Monastesse constate cependant qu’il y a eu d’importants ratés dans l’affaire Pamela Jean.

« Le drapeau rouge aurait dû être levé », dit-elle, en soulignant l’historique de violence conjugale dans le couple Jean-Palma.

Louise Riendeau, du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, note quant à elle qu’une augmentation de la violence est typiquement observable après qu’une femme eut quitté un conjoint violent.

« Quand l'homme comprend qu'elle ne reviendra pas, que quelque chose s'est brisé, il panique. C'est là que c'est dangereux», explique Myriam Dubé, spécialiste de l'homicide intrafamilial au CRI-VIFF (Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes). Selon ses recherches, 40 % des cas de violence conjugale commencent après la séparation, tandis que 37 % des cas se poursuivent et que 23 % empirent après la rupture.

Il s’agit-là donc d’un autre élément qui aurait dû inciter le SPVM à prendre davantage au sérieux la disparition de la jeune mère de famille.

Selon Monastesse, l’un des plus grands problèmes est l’inaction de la police lorsque les agresseurs enfreignent les ordonnances de la cour leur interdisant d’entrer en contact avec la victime.

« [TRADUCTION] C’est une chose sérieuse, mais la police l’a minimise, en disant "c’était juste un coup de téléphone ou il vient juste de mettre une lettre dans sa boîte aux lettres", et ça envoie un message que ne n’est pas très grave. Ça donne [aux agresseurs] une marge de manœuvre qu'ils ne devraient pas avoir. Ils devraient sentir qu'ils sont surveillés », déplore-t-elle.

Monastesse estime en outre qu’il est primordial que les policiers tiennent compte de la situation psychologique extrêmement difficile que vivent les victimes.

« [TRADUCTION] Ce n’est pas facile pour une femme de porter plainte à la police contre son partenaire, relève-t-elle. Quand elle se rend à la police, c’est généralement parce qu'elle se sent très menacée. Elle se sent toujours ambivalente et il n'y a rien de pire que lorsque les policiers sont eux aussi ambivalents ... Tout ce que les victimes veulent généralement c’est que la violence cesse, ils ne veulent pas nécessairement les autres conséquences, que leur partenaire aille à la cour ou en prison ou perde son emploi; elles veulent juste que le système fonctionne et que la violence et les menaces arrêtent ». (8)

Mea culpa au SPVM

Lorsque le travail du SPVM dans l’affaire Pamela Jean a été critiqué publiquement dans les médias, le corps policier montréalais s’est défendu dans un premier temps d’avoir mal agi.

« Les démarches et les vérifications ont été faites par les policiers », a assuré le commandant aux communications du SPVM, Ian Lafrenière, matricule 2548. (9)

Puis, deux semaines plus tard, le commandant Lafrenière était forcé de ravaler ses propres paroles.

« Aujourd'hui, ce qu'on vous annonce, c'est que ça ne nous plaît pas, ce n'est pas le genre de service au citoyen qu'on voulait. En bon français, on aurait pu mieux travailler là-dedans lors de la prise d'appel », a lancé le principal porte-parole du SPVM. (10)

Ainsi, les policiers du SPVM « auraient pu faire mieux », reconnaissait maintenant le commandant Lafrenière, surtout « quand on compare avec la policière de Longueuil qui a fait un travail extraordinaire ». (11)

« Je pense qu'on a à apprendre de ce qu'elle a fait », a-t-il ajouté.

Accusations en déontologie policière

L’affaire n’en n’est pas restée là.

Un militant de la Coalition contre la répression et les abus policiers ayant suivi l’affaire Pamela Jean dans les médias a porté plainte au Commissaire à la déontologie policière. (Notons qu’il n’est pas nécessaire de connaître le nom des policiers fautifs pour porter plainte en déontologie policière.)

La démarche a été fructueuse puisqu’en novembre 2014, le Commissaire à la déontologie policière a décidé de porter des accusations contre deux constables du SPVM, soit les agents Saundra Baichoo, matricule 1898, et Yannick Montambault, matricule 2470.

Le Commissaire à la déontologie policière reproche plus précisément aux deux constables d’avoir dérogé à deux articles du Code de déontologie des policiers du Québec.

D’une part, le Commissaire à la déontologie policière est d’avis que les agents Baichoo et Montambault ne se sont pas comportés de manière à préserver la confiance et la considération que requiert leurs fonctions à l’égard du père de Pamela Jean, dérogeant ainsi à l’article 5 du Code de déontologie des policiers du Québec.

D’autre part, le Commissaire à la déontologie policière estime que les agents Baichoo et Montambault ont négligé d’accomplir les tâches dévolues à leurs fonctions et qu’ils auraient dû remplir à la suite du signalement de la disparition de Pamela Jean, en faisant une enquête incomplète compte tenu de la priorité de l’appel et en n’agissant pas agi avec probité en inscrivant à la carte d’appel no SPVM 13010101622 avoir posé des actions qu’ils n’ont pas accomplies en réalité, dérogeant ainsi à l’article 8 du Code de déontologie des policiers du Québec.

Les agents Baichoo et Montambault devront éventuellement répondre de ces deux accusations lors d’un procès devant le Comité de déontologie policière, un tribunal administratif spécialisé.

Affaire Maria Altagracia-Dorval

Fait à souligner, l’affaire Pamela Jean est survenue alors que le Comité de déontologie policière n’avait toujours pas terminé d’examiner le traitement de la plainte pour violence conjugale de Maria Altagracia-Dorval par cinq policiers du SPVM.

Maria Altagracia-Dorval, mère de famille de trois enfants, venait à peine de célébrer son vingt-huitième anniversaire de naissance lorsque son ex-conjoint, Edens Kenol, l’a assassiné de plusieurs coups de couteaux dans son logement de l’avenue L’Archevêque, à l’angle de la rue d’Amos, dans l’arrondissement de Montréal-Nord, le 17 octobre 2010. Ses enfants - une fillette de 2 ans et deux garçons âgés de 6 et 10 ans - n’étaient pas présents au moment du drame.

Edens Kenol a été déclaré coupable de meurtre au premier degré par un jury et condamné à purger une peine de vingt-cinq ans d’emprisonnement. Le verdict a cependant été porté en appel, l’accusé refusant de reconnaitre le caractère prémédité de l’homicide. (12)

Originaire d’Haïti, Maria Altragracia-Dorval est arrivée à Montréal à l’âge de 15 ans. Elle a fait la connaissance de Kenol  à l’école, un an plus tard. Kenol s’est trouvé un emploi d’agent de sécurité à l’aéroport international de Pierre-Elliott Trudeau de Montréal et le couple a pu s’acheter une maison à Repentigny. (13)

Après la naissance du premier enfant, Maria Altragracia-Dorval a quitté son emploi dans un hôpital pour devenir mère au foyer. (14)

En 2007, Maria Altragracia-Dorval et Edens Kenol se sont mariés. Mais les choses se sont mis à aller de mal en pire après la naissance du troisième enfant. En 2009, Kenol a en effet perdu son emploi et le ménage s’est retrouvé dans l’incapacité d’assumer le paiement de l’hypothèque. Le couple a emménagé dans un appartement et les disputes sont devenues de plus en plus fréquentes. (15)

En juillet 2010, Maria Altragracia-Dorval s’est séparé de son mari pour aller vivre seule avec ses trois enfants dans un appartement de l’avenue L’Archevêque, à Montréal-Nord. Selon son frère, Miguel Dorval, elle a demandé le divorce peu après et souhaitait retourner aux études. (16)

Durant cette période, Kenol s’est montré de plus en plus menaçant à l’endroit de Maria Altagracia-Dorval. La mère de famille a ainsi contacté la police à différentes reprises.

Le 15 août 2010, Maria Altragracia-Dorval a appelé au 911.

« Oh, oh, oh, tu tiens ton couteau en main, tu dis que tu vas me tuer. Tu as pris ton couteau, tu penses que tu peux me tuer avec mes trois enfants », a-t-elle dit en créole à son ex-conjoint, alors qu’elle était au téléphone avec le répartiteur du 911. (17)

Elle a rappelé la même journée, pour finalement se rétracter. « C’est correct, j’ai mal au ventre, je vais boire quelque chose », a-t-elle raconté.

« Vous êtes sûre, vous ne voulez pas que j’envoie la police, j’entends quelqu’un derrière, est-ce que vous pouvez parler? », lui dit le répartiteur. Aucun policier n’a toutefois été dépêché sur les lieux ce jour-là.

Lors d’une visite au CLSC de Montréal-Nord pour un problème médical, le 24 août 2010, Maria Altragracia-Dorval a confié à une infirmière qu’elle était victime de violence conjugale depuis dix ans. L’infirmière lui a suggéré de rencontrer un travailleur social, mais elle a quitté la salle d’attente du CLSC lorsque son nom a été nommé. (18)

Le 12 septembre, Maria Altragracia-Dorval a téléphoné au 911 en état de panique. Un homme rôde autour de chez elle, a-t-elle expliqué au préposé. « Il arrête pas de venir chez moi, il essaie de me tuer », lance-t-elle, d’un ton affolé. 

Réfugiée chez sa cousine, à Saint-Léonard, elle a signalé à nouveau le 911, deux jours plus tard. « Il arrête pas de me suivre, il est dehors, il est très dangereux ». Le répartiteur lui dit que des policiers vont être envoyés.

Elle a rappelé quelques minutes après. « La police lui a dit qu’il a pas le droit d’approcher. Il m’a suivi chez ma cousine, poursuit-elle. Ça recommence encore. Il a frappé fort à la porte, il appelle sur mon téléphone. Il a pas le droit d’approcher, ni d’appeler ».

[Notons cependant que Kenol n’étais soumis à aucune ordonnance de cour ; un policier l’avait seulement avisé verbalement de ne pas contacter ou approcher son ancienne conjointe.]

Embarras au SPVM

Le 11 octobre, Maria Altragracia-Dorval a contacté une dernière fois le 911.

« Elle nous a appelés, elle était chez une cousine dans le secteur Saint-Léonard. Elle a fait une plainte officielle contre son ex-conjoint en disant qu'il la harcelait depuis des semaines. Elle leur a également parlé d'un incident de violence conjugale survenu au mois d'août », explique Sylvain Brouillette, directeur adjoint de la région Est au SPVM. (19)

« Des patrouilleurs se sont rendus sur les lieux et ont rédigé un rapport qu’ils ont ensuite déposé au poste en soirée. Dès le lendemain matin, un contrôleur a trié la centaine de dossiers reçus la veille. À la fin de la journée, il a mis le dossier dans le pigeonnier d’un enquêteur qui a pu en prendre connaissance le lendemain matin, le 13 octobre », poursuit-il. (20)

Classé «urgent», le dossier a été analysé au Centre d'enquêtes Est, le lendemain.

Le 13 octobre 2010, le dossier a été remis à une sergente-détective. La plaignante ne sera cependant pas contactée, pas plus que le suspect d’ailleurs. (21)

Dans les heures précédant le drame, Kenol a téléphoné pas moins de 107 fois son ancienne conjointe. La même journée, les fils du frigo, de la cuisinière et de la télé de Maria Altragracia-Dorval sont coupés, et les pneus de sa voiture sont aussi crevés. (22)

La mort de Maria Altagracia-Dorval a donné lieu à une importante controverse lorsque les médias ont révélé que la défunte mère de famille avait porté plainte au SPVM contre son ancien conjoint six jours avant le drame.

« À la lumière des documents qui m’ont été fournis, on dénote des irrégularités au niveau des délais entre le dépôt de la plainte et la rencontre du suspect, ainsi que de la victime, a déclaré Sylvain Brouillette. Dans le cas présent, il y avait urgence d’agir et les délais n’ont pas été raisonnables ». (23)

« Six jours sans qu'aucune activité policière ne soit faite, c'est vraiment trop long. Est-ce qu'on aurait pu faire mieux dans ce dossier-là, la réponse est oui. Il s’agit d’un décès très malheureux et c’est un décès de trop. Il faut apprendre de ce qu’on a fait et se regarder dans le miroir », ajoute-t-il, en notant que les faits rapportés comportaient « un degré de violence élevé ».

Devant le tollé provoqué par la mort de la mère de famille, le ministre de la Sécurité publique, Robert Dutil, s’est prévalu de l’article 166 de la Loi sur la police pour ordonner au Commissaire à la déontologie policière de tenir une enquête relativement à cette triste affaire. (24)

[Notons que des démarches via l’accès à l’information ont établi que le ministre de la Sécurité publique avait eu recours à l’article 166 à seulement deux occasions depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur la police, en juin 2000] (25)

L’enquête déontologique a d’ailleurs donné lieu à la mise en accusation de cinq policiers du SPVM devant le Comité de déontologie policière.

Le Commissaire à la déontologie policière a reproché aux agents Danny Chicoine, matricule 6293, et Éric Sabourin, matricule 6067, d’avoir mené une enquête incomplète sur la menace posée par Kenol. L’agente Estelle Motta, matricule 1318, aurait quant à elle négligé de vérifier le sérieux de la menace. Pour sa part, la sergente-détective Geneviève Leclerc, matricule 4389, aurait omis d'enquêter à la réception du dossier tandis que son supérieur, le lieutenant-détective Marcel Thifault, matricule 3, aurait négligé de vérifier ou faire vérifier le sérieux de la menace avant de confier le dossier à un enquêteur. (26)

Le procès en déontologie policiers a cependant connu d’importants retards, de sorte qu’aucune décision n’a encore été rendue à l’égard des cinq policiers cités, et ce, plus de trois ans après le décès de Maria Altagracia-Dorval. Son conjoint a même pu être trouvé coupable par un jury avant que le Comité de déontologie policière ne rende un verdict dans la même affaire.

La cause a notamment été retardée par la curieuse décision du gouvernement du Québec de ne pas renouveler le contrat de Me Michèle Cohen, l’avocate chargée de juger les cinq policiers, en avril 2013.

Or, un mois plus tôt, le travail de Me Cohen avait fait l’objet d’une évaluation élogieuse de la part du président du Comité de déontologie policière, ce qui a fait dire à l’avocate que sa mise au rancart n’était pas justifiée.

« [TRADUCTION] Cela illustre qu’il n’y a aucune raison justifiant le non-renouvellement de mon mandat, alors j’en ai conclu que cela ne pouvait n’être qu’une décision politique. Ma feuille de route est impeccable, mais il y a des choses sur lesquelles je n’ai aucun contrôle, ni ne puis-je expliquer ». (27)

La famille de Maria Altagracia-Dorval n’a cependant pas attendu l’issue du procès en déontologie policière avant de réclamer réparation. En octobre 2013, une poursuite civile de 665 000 $ a ainsi été intentée contre la Ville de Montréal au nom des trois enfants mineurs et de leur tuteur, Nousla Dorval. « Le décès de Maria Dorval aurait pu être empêché, n’eut été des fautes et négligences du service de police (de Montréal) », lit-on dans la requête introductive d’instance. (28)

L’action en justice a malheureusement été rejetée par la juge Francine Nantel de la Cour supérieure du Québec, en septembre 2014, suite au dépôt d’une requête en irrecevabilité de la Ville de Montréal fondée sur la prescription. (29) L’article 586 de la Loi sur les cités et les villes prévoit en effet que les poursuites civiles contre une ville et/ou ses préposées doivent être intentées dans un délai de six mois après l’événement, à moins que le recours n’invoque un préjudice corporel.

Combien de décès pour faire bouger le SPVM ?

Le décès de Maria Altragcia-Dorval a amené le SPVM à multiplier les annonces de mesures visant à améliorer ses efforts contre la violence conjugale.

Une semaine après le drame, le SPVM a émis un communiqué indiquant que des « mécanismes de contrôle accrus ont été immédiatement mis en place pour assurer cette rigueur de gestion », sans toutefois préciser la nature de ces mécanismes. (30)

Une nouvelle procédure en violence conjugale a été mise en place dès novembre 2010, avec des précisions quant au rôle spécifique de chacun des policiers intervenant dans le traitement de la plainte. Tous les policiers œuvrant dans le domaine de la violence conjugale et intrafamiliale doivent aussi subir une formation sur une « nouvelle grille d’évaluation du risque d’homicide conjugal », confectionnée collaboration avec le Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes.

Selon le commandant Vincent Richer, l’affaire Maria Altragcia-Dorval a incité le SPVM à accélérer l’implantation de son plan d’action contre la violence conjugale. Ainsi, entre novembre 2010 et avril 2011, le SPVM a formé 3000 de ses policiers au niveau de l’identification des signes avant-coureurs de danger, tels qu’une séparation récente, des antécédents de violence ou d’abus d’alcool.

En novembre 2011, le SPVM a mis sur pied un projet pilote dans les secteurs nord et nord-est de l’île de Montréal visant à mettre en contact les nouveaux agresseurs avec Pro-gam, un organisme luttant contre la violence conjugale et intrafamiliale.

En novembre 2012, le SPVM a présenté son plan quinquennal pour lutter contre la violence conjugale, « Plan d’action stratégique en matière de violence conjugale et intrafamiliale 2013-2017 », la veille de la comparution des cinq policiers cités devant le Comité de déontologie policière pour leur rôle respectifs dans l’affaire Maria Altagracia-Dorval. (31)

« Je suis convaincu qu'avec les formations dispensées auprès de nos policiers et enquêteurs et les nouveaux outils mis en place, comme la grille d'évaluation du risque d'homicide conjugal, nous aurons contribué au mieux-être et à la revalorisation des victimes », a déclaré Marc Parent, directeur du SPVM. (32)

« [TRADUCTION] Il a fallu plusieurs homicides avant que le SPVM et d'autres corps policiers réalisent l'importance d'avoir un outil spécialisé pour aider à analyser et à évaluer le risque encouru », commente Manon Monastesse. (33)

Le SPVM a aussi annoncé la tenue d’un colloque afin de revoir les pratiques policières dans les interventions de violence conjugale, tout en s’engageant à augmenter sa présence sur les réseaux sociaux, tel Facebook, de façon à sensibiliser les victimes de violence conjugale aux ressources disponibles.

Lors de son procès déontologie policière, la sergente-détective Geneviève Leclerc a d’ailleurs tenté de justifié le fait qu’elle n’ait pas contacté Maria Altagracia-Dorval avant le drame sur l’absence de politique interne prévoyant une obligation à cet effet.

« [TRADUCTION] Le [SPVM] a réalisé que la politique en place à l'époque ... devait changer de sorte que nous appelons désormais systématiquement la victime immédiatement dans les cas de violence conjugale », a déclaré la sergente-détective Leclerc lorsqu’interrogé à propos de son inaction. (34)

Il n’y a cependant pas que les politiques internes qui doivent être appelées à changer. Certaines mentalités peuvent aussi parfois faire partie du problème, on a qu’à regarder les propos questionnables tenus tout récemment par Normand Bibeau, avocat du lieutenant-détective Marcel Thifault, durant les audiences du Comité de déontologie policière dans l’affaire Maria Altagracia-Dorval.

« [TRADUCTION] Regardez, si nous lisons les journaux, nous sommes censés croire que tout le monde a été agressé sexuellement et ne l’a jamais signalé et que chaque femme a été attaquée par son père et ses trois frères. Dans notre affaire, nous nous penchons sur un incident spécifique, et non la façon dont notre société et notre système de justice traite la violence conjugale », a-t-il lancé lors d’un débat sur une objection. (35)

Le fait que l’avocat d’un haut-gradé du SPVM se soit senti autorisé de tourner au ridicule les allégations de violences sexuelles qui prolifèrent dans les médias ne fait rien pour encourager les victimes à porter plainte à la police, ni pour dissiper la pénible impression qu’il y a encore trop de policiers qui se lavent les mains de la violence conjugale qui a couté la vie à des femmes comme Maria Altagracia-Dorval et Pamela Jean.

 

Sources :

(1) Journal de Montréal, « Pas de signe de violence », Michaël Nguyen et Kassandra Martel, 7 janvier 2013, 23H08.

(2) La Presse, « Meurtre de Pamela Jean - Son ex-petit ami arrêté », David Santerre et Philippe Teisceira-Lessard, 7 janvier 2013, p. A5.

(3) Canoë, « Meurtre de Pamela Jean - Son père dénonce le SPVM », Maxime Deland, 7 janvier 2013, 11H27.

(4) La Presse, « L'ex-ami de coeur de Pamela Jean accusé », Christiane Desjardins, 8 janvier 2013, p. A6.

(5) The Gazette, “Man arraigned in death of woman, island's first homicide of 2013”, Jan Ravensberg, January 8 2013, p. A4.

(6) Le Journal de Montréal, « Meurtre de Pamela Jean : accusation aggravée », Michaël Nguyen, 5 février 2013, p. 8.

(7) The Gazette, “Five cops to face hearing over death”, Sue Montgomery, December 12 2011, p. A4.

(8) The Gazette, “Putting police response on trial”, Michelle Lalonde, March 6 2013, p. A4.

(9) Le Journal de Montréal, « Le SPVM critiqué », Sarah Bélisle, 8 janvier 2013, p. 3.

(10) Le Journal de Montréal, « Meurtre de Pamela Jean - Le travail des policiers est remis en cause », Mise à jour: vendredi 18 janvier 2013, 21H01

(11) La Presse, « Pamela Jean: le SPVM veut corriger le tir », Philippe Teisceira-Lessard, 19 janvier 2013 à 15h52.

(12) Le Journal de Montréal, « Edens Kenol a été déclaré coupable du meurtre de sa femme », Michael Nguyen, Mise à jour: jeudi 16 mai 2013, 13H49.

(13) The Gazette, “Slain woman had mostly kept her difficulties to herself”, Sue Montgomery, November 1 2010, p. A6.

(14) The Gazette, “Woman, 28, slain at home - Estranged husband arrested”, Jan Ravensbergen, October 18 2010, p. A6.

(15) The Gazette, “'I didn't mean to kill her ... I didn't mean to do anything'”, Sue Montgomery, May 1 2013, p. A3.

(16) Cyberpresse, « Meurtre dans Montréal-Nord - L'ex-conjoint est arrêté », Catherine Handfield, Mis à jour le 18 octobre 2010 à 06h49.

(17) Le Journal de Montréal, « Poignardée à mort - Des appels répétés au 911 », Anne-Laure Jeanson, Mise à jour: vendredi 23 novembre 2012, 23H11

(18) The Gazette, “Victim sought help in weeks leading up to her death”, Michelle Lalonde, February 12 2013, p. A4.

(19) La Presse, « Une femme poignardée avait porté plainte six jours avant de mourir », Catherine Handfield, Mis à jour le 20 octobre 2010 à 08h28.

(20) RueFrontenac, « 32e meurtre - La police nie avoir été négligente », Daniel Renaud, Mise à jour le Mardi, 19 octobre 2010 19:29.

(21) Canoë, « "Irrégularités" sous enquête », Marc Pigeon, 22 octobre 2010, 04h12.

(22) La Presse, « Kenol admet avoir tué sa femme mais nie la préméditation », Christiane Desjardins, Mis à jour le 1 mai 2013 à 19h28.

(23) LCN, « Violence conjugale - Le SPVM fait son mea culpa », Mise à jour : 21/10/2010 15h08.

(24) Ministère de la Sécurité publique, Demande d'enquête au Commissaire à la déontologie policière, 26 octobre 2010.

(25) A.P. c. Québec (Ministère de la Sécurité publique), 100 33 17, Commission d’accès à l’information, 27 novembre 2013.

(26) La Presse, « Mère tuée par son ex - Cinq policiers cités en déontologie », Vincent Larouche, le 12 décembre 2011 à 11h49.

(27) The Gazette, “Trial ends but questions remain”, Sue Montgomery, May 17 2013, p. A8.

(28) Le Journal de Montréal, « La police poursuivie pour 665 000$ », Michael Nguyen, Mise à jour: mercredi 16 octobre 2013, 7H10.

(29) Dorval c. Montréal (Ville de), Cour supérieure du Québec, N° 500-17-079346-139, 23 septembre 2014.

(30) RueFrontenac, « Le SPVM va améliorer sa gestion des plaintes de violence conjugale », Charles Poulin, Mise à jour le Lundi, 25 octobre 2010 22:33

(31) La Presse, « Début de l'audience en déontologie de cinq policiers », Christiane Desjardins, Publié le 21 novembre 2012 à 14h50

(32) La Presse, « Le SPVM présente un nouveau plan contre la violence conjugale », Hugo Pilon-Larose, Mis à jour le 20 novembre 2012 à 20h17.

(33) The Gazette, “Police expand understanding of family abuse”, Sue Montgomery, November 19 2012, p. A4.

(34) The Gazette, “Detective grilled at ethics hearing”, Michelle Lalonde, December 14 2012, p. A8.

(35) The Gazette, “Ethics committee resumes hearing into police actions in 2010 murder”, Michelle Lalonde, Last Updated: December 15, 2014 5:33 PM EST.