Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 15 octobre 2025 : https://pivot.quebec/2025/10/15/budgets-policiers-on-a-pas-fini-de-payer/
Budgets policiers : on a pas fini de payer
Janvier 2013 : le gouvernement de Stephen Harper réunit les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice et de la sécurité publique pour discuter de comment « restreindre les coûts croissants des services de police ». Même les conservateurs pro-flics s’inquiétaient de l’explosion des budgets policiers.
Été 2020 : le meurtre filmé de George Floyd aux mains de la police de Minneapolis provoque une mobilisation populaire à l’échelle nord-américaine durant laquelle les appels au définancement de la police se multiplient. Les activistes exigeaient plus d’argent pour les besoins sociaux criants et moins de fric pour les flics déjà gras dur.
À gauche comme à droite, le constat est le même : la police est surfinancée.
Malgré cette rare unanimité, la facture policière continue à gonfler comme une baudruche. Comme s’il n’existait aucun plafond ni limite aux fonds publics consacrés à la force constabulaire.
À qui la faute? Aux politiques qui s’écrasent devant le lobby policier quand vient le temps de négocier le renouvellement de la convention collective.
Silence, on surfinance
À trois semaines des élections municipales du 2 novembre, j’ai consulté les sites Web des politiques aspirant à gouverner l’une des neuf plus grandes villes du Québec.
Dans les deux tiers des cas, ces ambitieux personnages n’avaient rien à dire sur la police. On signe les chèques aux flics, pis on se tait.
Seules deux formations osent s’avancer sur le terrain du définancement.
Transition Montréal s’est timidement engagé « à instaurer un contrôle serré des heures supplémentaires » au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Transition Québec va plus loin en proposant d’« utiliser une portion du financement alloué au Service de police de la Ville de Québec afin de créer une équipe municipale d’intervention communautaire indépendante ayant pour but l’intervention dans les situations liées notamment à la santé mentale, à la toxicomanie et au travail du sexe ».
Action Laval mérite une mention honorable puisque la formation reconnaît que d’« ajouter des policiers et des fonds publics ne fera pas diminuer le nombre d’armes sur le territoire lavallois ».
C’est comme s’il n’existait aucun plafond ni limite aux fonds publics consacrés à la force constabulaire.
J’ai ensuite contacté chacune des formations politiques ou candidat·es à la mairie de ces neuf municipalités.
Je les ai confronté·es aux hausses souvent vertigineuses des budgets policiers dans leur propre ville pour leur demander s’ils et elles comptaient couper là-dedans et, le cas échéant, si une cible à atteindre en termes de réduction des coûts policiers a été fixée.
Lorsque la plateforme électorale comporte des promesses sécuritaires, je leur ai aussi demandé s’ils et elles étaient en mesure de chiffrer les sommes d’argent qu’ils et elles prévoient consacrer à chacune des différentes mesures proposées. Ma question est demeurée sans réponse.
Sur trente-huit demandes d’informations, je n’avais eu droit qu’à seulement quatre retours au moment de publier, soit : Jacques Pelletier, candidat indépendant à la mairie de Saguenay, Rémi Bergeron, candidat indépendant à la mairie de Gatineau, Action Gatineau, de la mairesse sortante Maude Marquis-Bissonnette et Ensemble Montréal.
Jacques Pelletier m’écrit « que de viser un 20 millions $ [en rationalisation] dans la deuxième année [du mandat] est faisable », sans toutefois pouvoir spécifier quel secteur policier serait touché.
« La Ville veut construire un nouveau QG au coût de plus de 150 millions $ et je me questionne sur la pertinence de cet investissement dans le contexte économique actuel », m’écrit Rémi Bergeron.
Reconnaissant que « le budget du Service de police de la Ville de Gatineau (SPVG) a effectivement connu une croissance au cours des dernières années », Action Gatineau entend continuer sur cette lancée, notamment en donnant « accès aux outils technologiques et d’enquête nécessaires ».
Des élections payantes pour la police
Si Ensemble Montréal me parle « d’optimiser les ressources existantes plutôt que d’augmenter les dépenses », son site Web promet plutôt l’« embauche de constables spéciaux, jusqu’à atteindre le nombre de 230 » à la Société de transport de Montréal (STM), en plus de « déployer des caméras corporelles au sein des effectifs policiers ».
En cela, le parti de Soraya Martinez Ferrada rejoint Projet Montréal, puisque l’administration sortante parle aussi d’instaurer « des caméras corporelles ».
Dans un cas comme dans l’autre, cet engagement, s’il est concrétisé, injectera une bonne dose de fonds publics dans les veines du SPVM.
De son côté, Action Montréal se propose d’« augmenter la présence policière dans les zones à risque ».
Même discours chez Futur Montréal, pourtant cofondé par Joël DeBellefeuille, de la Coalition rouge, qui milite contre le profilage racial : « augmenter la présence policière au centre-ville », « plus d’autopatrouilles de jour et de soir », etc.
Les politiques s’écrasent devant le lobby policier quand vient le temps de négocier le renouvellement de la convention collective.
La surenchère sécuritaire n’épargne pas non plus la Ville de Québec.
« Tout sera mis en œuvre afin d’augmenter substantiellement les patrouilles piétonnes au centre-ville ainsi que les patrouilles de nuit dans les coins chauds », promet Respect citoyens, en évoquant une « augmentation de cinq millions $ et plus à consacrer à la police annuellement ». C’est le seul parti à chiffrer le coût de ses promesses sécuritaires.
Leadership Québec, de l’ex-ministre libéral Sam Hamad, entend également ajouter « plus d’effectifs sur le terrain ».
« Nous augmenterons la présence policière », assure aussi le Parti Laval – Équipe Larochelle.
Pour sa part, le Mouvement lavallois – Équipe Stéphane Boyer se félicite d’avoir « procédé à l’embauche de près d’une centaine de policiers en quatre ans », en plus d’avoir débloqué « 20 000 heures d’enquête supplémentaires ». Et ce n’est qu’un début puisque le maire sortant promet « l’ajout de 20 000 heures d’enquêtes supplémentaires ».
Enfin, Prospérité Lévis – Équipe Steven Blaney, un ex-ministre de la Sécurité publique du gouvernement Harper, parle de « mettre en place des équipes policières spécialisées dédiées à la lutte contre la criminalité ».
Si vous aimez ça payer toujours plus cher pour une machine policière qui tue impunément des gens de tout âge, harcèle les minorités racisées et se livre à mille et un autres abus, vous êtes le dindon de l’arnaque.