Le 12 septembre 2016, une pétition d’environ 900 noms a été déposée au Conseil d’arrondissement de Montréal-Nord pour s’opposer au projet de plaque commémorative en souvenir de Fredy Villanueva, abattu par un agent du Service de police de la Ville de Montréal, le 9 août 2008.
Cette démarche se voulait vraisemblablement une réponse à une autre pétition déposée au Conseil d’arrondissement de Montréal-Nord, en avril dernier, celle-là demandant « d’inclure le visage de Fredy Villanueva dans le projet de murale préalablement prévu par l’arrondissement dans le centenaire de Montréal-Nord et repoussé à une date ultérieure ».
« Nous ne comprenons pas vraiment la raison de cette plaque », lit-on dans la plus récente pétition.
Mais alors pourquoi s’opposer à quelque chose de l’on ne comprend pas ?
Ça leur enlève quoi au juste, à ces gens-là, qu’il y ait une plaque commémorative au nom de Fredy Villanueva ?
Et qu’est-ce qui peut bien les motiver à mettre tant d’efforts pour nier à la mère de Fredy Villanueva un simple espace de commémorative en mémoire de son fils ?
D'ailleurs, qu’est-ce qui leur donne le droit de parler au nom de toute la population de Montréal-Nord ?
« Nous les résidents de Montréal-Nord nous avons décidé [sic] de se faire entendre car on se sent abandonnée [sic] complètement et on aimerait savoir où cette histoire se terminera », peut-on effet lire.
Les pétitionnaires parlent pour eux-mêmes et elles-mêmes, voilà tout. Qu’ils et elles se le tiennent pour dit.
« Il y a quelques années, un autre garçon italien s’est fait tuer dans des circonstances semblables et il n’a pas eu de plaque et on en parle plus », lit-on également.
Malheureusement, le texte ne mentionne pas le nom de cet « autre garçon italien », ni ne précise si l’incident est survenu à Montréal-Nord ou ailleurs, pas plus que la date du décès.
S’il est difficile de savoir à quel événement il est fait allusion ici, il l’est tout autant de savoir quel est le point au juste que tente de faire les pétitionnaires. Que c’est injuste car cet « autre garçon italien » mériterait une plaque et ne devrait pas être oublié ? Si c’est le cas, un bon début serait sans doute de nommer la personne en question.
Et si les pétitionnaires sont d’avis qu’une plaque devrait être dédiée à cette personne, alors la question qui se pose est la suivante : y a-t-il quelque chose qui les empêche de consacrer du temps à faire des démarches pour que la mémoire de cette personne soit soulignée de quelque façon ?
Mais si le point est plutôt de dire que la mémoire de Fredy Villenueva ne devrait pas faire l’objet d’une plaque commémorative parce que cet « autre garçon italien » en mériterait une lui aussi mais qu’au lieu de cela on ne « parle plus » de lui, alors là, il s’agit à toute fin pratique d’un nivellement par le bas qui pourrait se résumer ainsi: si l’on ne parle plus de cet « autre garçon italien », alors aussi bien cesser de parler de Fredy Villanueva !
Peut-être serait-il utile de rappeler aux partisans du devoir d’amnésie que nous vivons dans une province où la devise est « je me souviens ».
« D’accord c’est regrettable et on compatisse avec les familles, on a tous perdue un être cher et c’est très dur, mais la vie continue, il faut accepter et tourner la page », écrivent encore les pétitionnaires.
Le décès d’un être cher, faut-il le rappeler, n’est pas le chapitre d’un mauvais livre qu’on peut refermer à tout moment, et il faut vraiment faire preuve d’un culot doublée d’une condescendance incroyable pour dire aux proches d’une personne décédée qu’il est temps pour eux et elles de mettre fin à leur deuil et de passer à autre chose.
À lire le libellé, on aurait dit que les pétitionnaires ont trouvé le bouc émissaire idéal pour expliquer tout ce qui va mal à Montréal-Nord, du sentiment d’insécurité jusqu’à la mauvaise presse en passant par la présence de vendeurs de drogue dans les lieux publics : tout ça, à en croire les pétitionnaires, parce que des gens commémorent le décès du jeune Villanueva !
Comme si, avant 2008, tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes à Montréal-Nord et qu’il n’y avait pas de drogue dans les rues de l’arrondissement ! Ces pétitionnaires n’ont donc jamais entendu parler du « gang de la rue Pelletier », dont le méga-procès a abondamment défrayé la manchette en 2007 ?
Franchement, il faut pas charrier. Pousse, mais pousse égal.
De toute évidence, le libellé de la pétition n’est rien d’autre qu’un exutoire qui, en plus d’être mal structuré, verse non seulement dans la surenchère mais aussi dans la fausseté pure et simple.
Car il faut bien faire preuve d’ignorance, ou pire, de mauvaise foi pour rédiger un libellé de pétition énonçant ceci :
Concernant la création d’un espace de commémoration des événements de 2008, au parc Henri-Bourassa, est-ce vraiment nécessaire ? Parlez-en aux pompiers et aux policiers qui doivent affronter des gens qui viennent de l’extérieur à chaque fois qu’on souligne cela ? Et les coûts engendrés pour réparer les dégâts ?
L’argumentaire des pétitionnaires est tellement malhonnête que ça en devient choquant.
Est-il besoin de rappeler que toutes les manifestations et vigiles qui ont été tenues sur le territoire de l’arrondissement pour commémorer le décès de Fredy Villanueva se sont toutes terminées dans le calme, et ce, sans exception ?
Les sceptiques peuvent s’adresser au Poste de quartier 39 : on leur répondra que les vigiles qui se tiennent deux fois par année en souvenir de Fredy Villanueva dans le stationnement de l’aréna Henri-Bourassa n’ont jamais donnés de fil à retordre aux policiers, et encore moins aux pompiers, dont la caserne est d’ailleurs située à quelques pas du lieu de rassemblement.
Oui, il y a eu des incidents le 6 avril 2016. Mais est-il besoin de rappeler que c’était après la fin d’une manifestation qui a été tenue pour dénoncer le décès de Bony Jean-Pierre, lequel est survenu lors d’une autre intervention policière qui a, elle aussi, horriblement mal tourné ? Et que la manifestation elle-même a été tenue après la vigile soulignant l’anniversaire de naissance de Fredy Villanueva, qui s’est déroulé aussi pacifiquement que les années précédentes ?
La vérité, c’est que les pétitionnaires sont à ce point à court d’arguments qu’ils et elles en sont réduits à en inventer. C’est pathétique, disgracieux et immoral.
L’arrondissement ne devrait pas récompenser l’ignorance et la mauvaise foi.
Mais il n’y a pas que l’argumentation boiteuse des pétitionnaires qui pose problème.
La façon dont les noms ont été colligés est également problématique à de nombreux égards en ce qu’elle n’offre à toute fin pratique aucune des garanties de fiabilité relatives aux pétitions.
Dans la forme où la pétition a été déposée au conseil d’arrondissement, il est impossible de vérifier la fiabilité des appuis qu’elle revendique puisque les coordonnées des pétitionnaires y sont manquantes. De plus, il semble que des dizaines d’adresses civiques ont été caviardées à la main. Pourquoi donc ? Plusieurs noms ont même été barbouillés à la main. Aussi, dans plusieurs cas, le prénom est manquant. Dans d’autres cas, les noms sont carrément illisibles. Enfin, la majorité des pétitionnaires n’ont pas apposées leur signature.
Quelle sorte de pétition que c’est ça ?
Pire encore, seulement sept des trente-trois pages de noms reprennent le libellé de la pétition. Comment, en pareille circonstance, peut-on s’assurer que les pétitionnaires aient pris connaissance du libellé de la pétition avant d’y inscrire leur nom ? Qu’est-ce qui nous dit que ces gens-là ne croyaient pas plutôt apposer leur nom à une pétition demandant, par exemple, le retour de PK Subban à Montréal ?
La pétition est à ce point bâclée que si elle avait été déposée à la Chambre des communes ou à l’Assemblée nationale, elle aurait manifestement été jugée irrecevable à sa face même.
En effet, les pétitions sur support papier adressées l’Assemblée nationale doivent inclure l’adresse et la signature de chacun et chacune des pétitionnaires. Notons aussi que la pétition doit reprendre le texte de la pétition sur chacune page où sont colligées les noms et signatures.
De même, les pétitions adressées à la Chambre des communes doivent également comprendre les signatures et adresses des pétitionnaires. En outre, chacune des pages doit contenir une indication de l’objet de la pétition « de sorte que les pétitionnaires soient pleinement conscients de la nature du document qu’ils signent », comme l’indique le site web de la Chambre des communes.
Enfin, la pétition ne rencontre pas plus les règles que se sont données tant la Ville de Montréal que ses arrondissements relativement aux pétitions produites dans le cadre du processus du droit d’initiative en consultation publique. En effet, ces pétitions doivent, dans chacun des cas, comporter l’adresse complète du domicile de chaque pétitionnaire, de même la signature de ceux-ci et celle-ci.
Dans ces circonstances, l’arrondissement de Montréal-nord n’a d’autre choix que de ne pas tenir compte de cette démarche autant aberrante que chancelante.
Honte à tous ceux et celles qui ont apposé leur nom sur ce tissu de mensonges, d’amalgames douteux et de raccourcis invraisemblables !