Combien d’émeutes est-ce que ça va prendre ?

Une bavure d’une ampleur jamais vue, suivie d’une émeute sans précédent. Voilà comment on pourrait résumer les événements à la fois tragiques et mouvementés qui se déroulèrent à Montréal-Nord, à environ vingt-quatre heures d’intervalle, les 9 et 10 août dernier.
 
Bien entendu, le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) n’en n’est pas à sa première bavure, tout comme le territoire métropolitain n’en n’est pas à sa première émeute. Toutefois, c’est la première fois qu’une émeute suit une bavure policière de façon aussi immédiate.
 
De même, si les bavures policières sont toutes choquantes à leur façon, il reste que celle qui a coûté la vie au jeune Fredy Villanueva est particulièrement scandaleuse. Après tout, nous avons affaire à un policier qui s’est permis d’ouvrir le feu sur des jeunes gens, dont Fredy, qui se trouvaient à côté d’un parc bondé de monde. Des jeunes gens désarmés qui ne faisaient rien d’autre que de jouer aux dés.
 
Il ne fait aucun doute que la plupart des jeunes vivant dans ce secteur malfamé de la ville ont vécu au moins une mésaventure avec la police. En apprenant la mort violente de Fredy, une bonne partie d’entre eux se sont sûrement dit : « Ça aurait pu être moi. ».
 
Selon certains témoignages diffusés dans les médias, la situation a dégénéré parce que les jeunes auraient refusé de laisser les policiers malmener l’un des leurs sous leurs yeux sans rien dire.
 
Certains formateurs d’opinion ont d’ailleurs cherché à utiliser la tournure tragique des événements pour véhiculer un message de soumission envers l’autorité, du genre : voici ce qui arrive lorsqu’on tient tête aux policiers ! « Celui qui affronte un policier risque la mort. Fredy Villanueva et son frère devaient le savoir. », écrivait par exemple J. Jacques Samson dans le Journal de Québec. (1)
 
De nombreux jeunes de Montréal-Nord semblèrent tirer une leçon bien différente de ce drame. L’indignation unanime que provoqua la mort de Fredy fut plutôt perçue comme une occasion de se soulever contre la flicaille qui faisait la pluie et le beau temps depuis trop longtemps déjà dans les rues et les parcs du quartier.
 
En multipliant les incendies, les saccages et les assauts contre les symboles d’autorité, les émeutiers semblaient lancer le message suivant : si vous croyez que nous allons vous laissez continuer à abuser de nous aussi impunément, alors vous vous foutez le doigt dans l’oeil jusqu’au coude !
 
Ce qui donna lieu à une émeute d’une ampleur sans précédent : c’est en effet la première fois à Montréal qu’on vit des émeutiers ouvrir le feu sur la police ou encore s’en prendre à la fois aux pompiers, aux ambulanciers et aux journalistes.
 
Avec les émeutes qui suivirent la mort de Fredy, c’est bien plus qu’un fossé qui s’est élargi entre les jeunes et la police : c’est carrément une tranchée qui s’est creusée entre les deux camps antagonistes.
 
Par ailleurs, n’en déplaise aux bien-pensants, l’émeute a eu cela de bon qu’elle a forcé les grands médias à aborder des problèmes de société sur lesquels ils n’ont guère l’habitude de s’attarder.
 
Le profilage racial, la pauvreté à Montréal-Nord et le problème de crédibilité des enquêtes faites par la police sur les morts d’homme aux mains de la police sont autant de sujets épineux qui n’ont jamais reçu autant d’attention médiatique que depuis les émeutes de Montréal-Nord.
 
Mais une prise de conscience, aussi bienvenue soit-elle, ne représente pas une fin en soi. Ce n’est qu’un début. Et rien ne garantit que l’intérêt médiatique pour ce type de questions sera maintenu lorsque l’émeute deviendra un souvenir lointain dans l’actualité.
 
D’où cette question : Si ça une émeute a été nécessaire pour que l’industrie de l’information commence à prendre au sérieux des problèmes qui ne datent pourtant pas d’hier, combien d’autres émeutes faudra-t-il pour que les choses commencent vraiment à changer ?
  

Quand la mort arrive par un samedi ensoleillé

L’histoire commence au parc Henri-Bourassa, situé à l’angle de la rue Pascal, du boulevard Rolland et de l’avenue Laurier, dans l’arrondissement de Montréal-Nord, le samedi 9 août, en début de soirée.
 
Un groupe de jeunes jouait aux dés sur un sentier du parc lorsque l’agent Jean-Loup Lapointe et une policière dont l’identité n’a pas été dévoilée débarquèrent de leur auto patrouille et firent leur entrée. Le constable Lapointe compte quatre années et demie de service alors que sa collègue n’a qu’une année et demie d’expérience au sein du SPVM. (Au moment de la révision de ce texte, en 2009, nous savons maintenant que le nom de cette policière est Stéphanie Pilotte.)
 
À ce moment-là, Erica Cruz, une résidente de Montréal-Nord, se trouvait à quelques mètres du sentier en compagnie de ses fils, âgés de 2 et de 4 ans, et de sa mère. Cruz raconta à un journaliste de La Presse que le groupe de jeunes s’éloigna de quelques mètres du sentier pour laisser passer les deux policiers. (2)
  
« Un des policiers a pointé l’un des jeunes et lui a dit de s’approcher, ce que (celui-ci) a refusé de faire, expliqua Cruz. Il disait : ‘Je n’ai rien fait de mal, tu ne peux pas m’arrêter’. Ça n’a pas fait plaisir au policier, qui l’a agrippé. Le jeune a plutôt mal réagi. »
 
Le jeune homme en question se nomme Dany Villanueva et est âgé de 22 ans. Voici sa version des faits. « Le policier s’est avancé vers moi et m’a dit : ‘Je t’ai vu jouer aux dés’. Normalement, il aurait dû juste me donner une amende parce que c’est interdit de jouer à l’argent. Mais il m’a pris la main, la policière m’a pris le bras et ils m’ont accoté sur le capot de leur auto. Je lui ai dit : ‘Qu’est-ce que tu me veux ? Ça faisait mal, alors j’ai résisté. Il m’a pris par le cou et m’a jeté par terre. Elle a mis un genou sur ma poitrine. J’ai entendu mon frère crier : ‘Arrêtez ! Arrêtez !’ » (3) Le frère de Dany, Fredy Villanueva, dit Pipo, était âgé de 18 ans.
  
Cruz affirma que Dany aurait insulté le policier Lapointe, ce qui aurait irrité celui-ci. « D’où nous étions, nous voyions la tension augmenter entre les policiers et les jeunes. On savait que quelque chose de grave allait arriver. Comme le policier frappait le jeune homme, les deux autres jeunes, un noir et un latino, se sont approchés du policier et ont tenté de l’arrêter. »
  
C’est à ce moment-là que l’agent Lapointe aurait dégainé son revolver. Il aurait fait feu directement sur Fredy. « J’ai vu une arme à feu près de mon visage, une douille volé, et mon frère par terre. », se rappela Dany. « J’étais en train de devenir fou. Je voyais mon frère par terre, en train de se vider de son sang, et moi j’avais des menottes. »
  
« Il y a eu un mouvement de panique dans le parc. », expliqua Samuel Medeiros, un adolescent habitant le secteur qui se trouvait à quelques dizaines de mètres de la scène. « Les gens se sont mis à courir partout. Personne ne savait qui avait tiré sur qui. »
 
Fredy fut atteint de trois projectiles, dont deux au niveau de la cage thoracique et des abdominaux. Il perdit beaucoup de sang et rendit l’âme dans la nuit de samedi à dimanche sur une table d’opération de l’hôpital Sacré-Cœur.
 
La mort de Fredy laissa un immense vide dans son entourage. Il était bien connu à Montréal-Nord et comptait beaucoup d’amis. Les nombreux commentaires entendus de part et d’autres à son égard laissent croire que Fredy était apprécié de tous et qu’il était du genre à éviter les embrouilles.
 
Deux autres personnes ont également été blessées par balles. Denis Méas, 18 ans, a reçu un projectile à l’épaule droite. Sa blessure a nécessité trois journées d’hospitalisation. Le troisième blessé, Jeffrey Sagor-Mételus, 21 ans, était plus mal en point. Ayant reçu une balle au thorax, il doit subir une opération. (4)
 
Comme le veut la politique ministérielle en vigueur, l’enquête sur la mort de Fredy a été confiée à un autre corps policier, en l’occurrence la Sûreté du Québec (SQ). Les enquêteurs de la SQ devront déterminer si l’agent Lapointe avait légalement le droit de faire usage d’une force mortelle.

Notons que le droit de tuer et d’infliger des blessures graves dont jouissent les policiers, ainsi que toute personne leur portant assistance, est encadré par l’article 25 du Code criminel canadien.
 
Le policier bénéficie d’une protection légale l’immunisant contre toute poursuite pénale à condition qu’il fasse usage d’une force mortelle en procédant « légalement à l’arrestation avec ou sans mandat », dans la mesure où il « s’agit d’une infraction pour laquelle cette personne peut être arrêtée sans mandat. ».
 
Le policier est autorisé à employer une force mortelle lorsque la « personne s’enfuit afin d’éviter l’arrestation » et que « la fuite ne peut être empêchée par des moyens raisonnables d’une façon moins violente. ».
  
L’usage de la force mortelle par le policier doit être nécessaire pour sa « propre protection ou celle de toute autre personne contre la mort ou des lésions corporelles graves - imminentes ou futures. ».

Ainsi, les enquêteurs de la SQ devront vraisemblablement déterminer si l’arrestation de Dany Villanueva, qui fut le point de départ de l’incident, était légale. Dans le cas contraire, la protection légale conférée par le Code criminel pourrait ne pas s’appliquer.
 
« Je n’ai aucune idée du pourquoi de l’intervention policière ; les policiers ne m’ont rien dit. », déclara Dany à La Presse. (5) Bien qu’il soit en attente de procès pour une affaire de vol qualifié, son avocat a affirmé que Dany n’avait enfreint aucune ordonnance en se trouvant au parc Henri-Bourassa ce jour-là.

Si l’on se fie à la version de Dany Villanueva, les deux policiers ont employé la force contre lui, pour l’immobiliser et lui mettre les menottes, sans jamais l’informer qu’il était en état d’arrestation pour avoir commis une infraction en particulier. On voit difficilement comment une arrestation sans motif pourrait être légale.

Dans les médias, certains formateurs d’opinion reprochèrent aux détracteurs de la police de ne pas avoir attendu le résultat de l’enquête de la SQ avant de critiquer la conduite des deux agents du SPVM mis en cause dans cette affaire. Or, ces mêmes apologistes semblaient oublier que le SPVM lui-même n’a pas attendu la conclusion de l’enquête avant de véhiculer sa propre version des faits dans les médias.
 
« Le policier a utilisé son arme dans le seul but de protéger un collègue. Les agents auraient été encerclés par une dizaine de personnes dans le parc. », affirmait en effet le porte-parole du SPVM, Yannick Ouimet, dans les heures qui ont suivi le drame.

Pourquoi ceux qui ont été choqués et bouleversés par la mort de Fredy devraient-ils se taire pendant que la police se sert allègrement des tribunes médiatiques pour justifier les gestes de l’un de ses agents qui ont mené à la mort d’un jeune homme désarmé ?

Si l’on se base sur les témoignages énoncés ci-haut, il semble difficile d’attribuer une quelconque crédibilité à la thèse de la légitime défense. En effet, comment croire qu’un policier qui s’était permis d’agir d’une manière aussi cavalière à l’égard d’un jeune homme qui ne semblait n’avoir rien fait de mal puisse avoir soudainement senti que sa sécurité était sérieusement mise en péril par un groupe de jeunes gens qui n’avaient que pour seules « armes » de minuscules dés ?

Certes, des témoins rapportèrent qu’un des jeunes présents aurait sauté au cou de la policière. Mais si c’est vrai, comment explique-t-on qu’aucune personne ne doit répondre d’une accusation de voie de fait sur cette policière ?

Même en supposant que cette altercation a bel et bien eu lieu, il semble peu probable que l’agent Lapointe ait ouvert le feu lorsque l’assaillant était encore agrippé au cou de sa collègue. Compte tenu de la situation volatile, il y aurait eu trop de risque que ses tirs atteignent sa collègue.

Aussi, la policière ne s’est sûrement pas laissée faire et s’est certainement débattue. Le constable Lapointe a probablement attendu que l’assaillant lâche prise avant de faire feu.

Même en admettant, l’espace d’un instant, que l’agent Lapointe pourrait avoir d’obscures raisons que lui seul connaît de s’être senti menacé par une poignée de jeunes désarmés, la conduite de ce policier continue de laisser perplexe. Se sentait-il encore menacé lorsqu’il a dégainé son arme à feu et l’a pointé en direction de Fredy ? Et si oui, pourquoi a-t-il senti le besoin de tirer, non pas un, pas deux, mais bien trois projectiles en sa direction ?

Se sentait-il encore en danger après que Villanueva eut reçu la première balle ? Et après la deuxième balle, craignait-il encore pour sa sécurité ? Fallait-il que Villanueva se retrouve par terre, gisant dans son sang, pour qu’il cesse de se sentir menacé ?

Chose certaine, les coups de feu tirés dans le parc Henri-Bourassa ce jour-là risquent d’en hanter plus d’un, et ce, pendant bien longtemps. 

Le « quartier chaud » prend feu

Le lendemain, la mort de Fredy fut dénoncée par une cinquantaine de résidents qui prirent la rue spontanément pour manifester pacifiquement, en début de soirée. La marche prit fin dans le calme, vers 20h30.

Quelques minutes plus tard, des individus se mirent à mettre le feu à des poubelles sur le boulevard Rolland. Les pompiers dépêchés sur les lieux furent accueillis par des jets de pierres et de bouteilles, ce qui les a obligés à battre en retraite.

Selon un résident rencontré par une journaliste du Devoir, les policiers anti-émeute présents sur les lieux avaient l’air d’être « dépassés par les événements » pendant qu’ils avançaient en direction des jeunes agités qui leur lançait des projectiles. (6) Leur tâche fut compliquée par la facilité avec laquelle les émeutiers arrivaient à se disperser pour se regrouper quelques coins de rue plus loin. « C’est comme dans les banlieues françaises, les gens d’ici connaissent leur quartier mieux que personne. Ils ont filé à travers les cours et sont revenus par derrière. », expliqua ce résident.

Des vitrines furent fracassées et des magasins furent pillés. La marchandise volée servit notamment à alimenter une quinzaine de feux qui flambaient autour du parc Henri-Bourassa, au coin du boulevard Rolland et de la rue Pascal. Certains incendiaires semblaient faire preuve d’un grand souci d’efficacité. Ils utilisèrent des scooters pour transporter du carburant destiné à alimenter les feux. Pour donner plus d’intensité aux brasiers, des bonbonnes de propane furent incendiées, provoquant de bruyantes explosions.

Selon La Presse, c’est par centaines que les résidents sortirent pour exprimer leur colère contre la police. La foule comptait des casseurs, des incendiaires et des pilleurs, mais aussi des enfants et des vieillards. (7) 
 
Les journalistes recueillirent les propos de résidents appuyant les gestes des émeutiers. « C’est bien fait, la police le méritait. », lança une femme au journaliste de La Presse. « Ce n’est pas un conflit entre Blancs et Noirs. », affirma un émeutier. « C’est un conflit entre les jeunes de Montréal-Nord et la police. »

Peu avant 22h, les voitures stationnées devant la caserne de pompiers située à côté du parc Henri-Bourassa furent livrées aux flammes. Lorsque les réservoirs d’essence explosaient, les gens applaudissaient. La caserne a elle-même été saccagée.

Les émeutiers n’avaient aucune envie de se faire prendre en photo, surtout qu’il existe toujours un risque que de telles images se retrouvent éventuellement entre les mains des flics. Ceux qui essayèrent d’immortaliser des visages d’émeutiers le firent à leurs risques et périls.

Ainsi, un citoyen qui tentait d’utiliser son cellulaire pour prendre quelques clichés a été frappé. (8) Un photographe de La Presse a aussi été attaqué par trois individus qui lui ont volé du matériel photographique d’une valeur s’élevant à près de 20 000$. (9) 
 
Enfin, un caméraman de TVA a également été agressé par un groupe, qui endommagea son matériel. « J’ai été projeté au sol et un petit groupe s’en est pris à moi et à ma caméra. (10) J’ai reçu quelques coups et je suis parti assez vite. La caméra est finie, mais j’ai pu sauver les images. »

Vers 22h30, un cordon de policiers remonta la rue Rolland en frappant sur leurs boucliers avec leurs matraques. Selon le journaliste de La Presse, les flics décidèrent de charger un attroupement de résidents qui ne faisaient rien d’autre que regarder l’action, à l’angle des rues Arthur-Chevrier et Rolland. Les courageux policiers projetèrent au sol et matraquèrent une femme haute comme trois pommes qui n’avait pas réussi à se sauver à temps.

La violence atteignit son paroxysme à 22h50, lorsque quatre coups de feu furent tirés en direction des policiers par un émeutier masqué retranché derrière un véhicule stationné. (11) Quatre coups de feu : c’est le même nombre de balles qui avaient été tirées par l’agent Lapointe la veille.

L’une des balles toucha une policière à la cuisse. Une autre balle s’est cependant retrouvée dans un appartement situé au troisième étage d’un immeuble à logements de la rue Pascal, provoquant toute une frousse à ses occupants.

Peu après 23h, une fourgonnette garée devant un immeuble commercial au coin des rues Arthur-Chevrier et Rolland fut incendiée à son tour. Les flammes caressaient une partie de la façade de l’immeuble, qui abritait divers commerces.

Les policiers s’adressèrent aux citoyens, en demandant à quiconque possédant un boyau d’arrosage de participer aux efforts pour venir à bout du brasier. Sans succès. Finalement, ce n’est qu’à 23h45 qu’un camion de pompiers escorté par des policiers parvint à se frayer un chemin jusqu’à l’immeuble.

Au total, l’intervention policière nécessita la mobilisation de 500 agents. Ce n’est qu’à 3h du matin que les policiers réussirent à reprendre le dessus. L’émeute dura près de sept heures. Trois policiers, deux journalistes et un ambulancier ont été blessés.

La répression se solda par six arrestations, dont deux jeunes femmes qui furent libérées sans accusation. Trois personnes furent quant à elles accusées d’introduction par effraction tandis qu’un quatrième individu doit répondre d’une accusation de possession de stupéfiants.

Quant aux dégâts matériels, ceux-ci pourraient atteindre plusieurs millions de dollars. Deux autobus et six abribus de la STM subirent des dommages, trois camions de pompiers ont été vandalisés, huit voitures de citoyens ont été incendiées, un dépanneur, une pizzeria, un pawnshop (profiteur sur gages), une crémerie et une boucherie ont été pillées et saccagées. Au total, la police recensa vingt introductions par effraction et trente-neuf méfaits.

L’émeute de Montréal-Nord eut des échos à travers le Canada ainsi que chez les médias de l’extérieur du pays, incluant les grands réseaux américains comme CNN et Fox.

Le lendemain, des dirigeants politiques et des représentants d’organisme communautaires montréalais lancèrent des appels au calme tandis que les forces policières occupèrent massivement les rues qui avaient été le théâtre des débordements de la veille.

De son côté, le no. 1 du SPVM, Yvan Delorme, décrivit l’émeute comme étant « une rébellion contre l’ensemble du système. » « On a jamais vu quelque chose comme ça à Montréal. », ajouta le chef de police. (12)

Seuls quelques incidents mineurs vinrent marquer la soirée du 11 août. Un camion de pompiers a été bombardé de pierres tandis que la vitre d’un autobus de la STM a été fracassée par un autre projectile. (13)

Les effectifs policiers omniprésents combinés à une température pluvieuse contribuèrent vraisemblablement à faire de ce lendemain d’émeute une soirée somme toute sans histoires.

Le 13 août, c’est dans l’arrondissement voisin de Rivière des Prairies que la révolte éclata. Vers 19h, une centaine d’adolescents s’étaient rassemblés dans la cour de l’école secondaire Jean-Grou en réponse à un appel à la mobilisation qui avait été lancé sur le site de clavardage MSN intitulé « Si la justice n’est pas faite on fera la justice avec nos mains. » (14)

Désireux d’empêcher toute répétition de l’émeute de Montréal-Nord, les bataillons anti-émeute du SPVM et l’hélicoptère de la SQ furent mobilisés.

Vers 21h, la police tenta de disperser la foule. Les manifestants se déplacèrent plutôt à l’angle de la 15e Avenue et du boulevard Maurice-Duplessis. Des pierres furent alors lancées en direction des véhicules de police et des voitures de citoyens. Une auto-patrouille et un autobus de la STM furent endommagés.

Les policiers du SPVM prétendirent avoir fait la découverte d’une douzaine de bouteilles de deux litres de boisson gazeuse remplies d’essence dissimulées derrière le restaurant McDonald’s du boulevard Maurice-Duplessis.

Au total, douze personnes, dont neuf mineurs, furent arrêtées. Deux d’entre elles devront répondre d’accusations de possession d’armes.

Entre-temps, le SPVM lança une enquête pour mettre le grappin le maximum de participants à l’émeute de Montréal-Nord. À défaut d’avoir été capable de procéder à une arrestation de masse durant l’émeute, le SPVM décida de se rabattre encore une fois sur la délation citoyenne, à l’instar de l’enquête relativement au grabuge qui avait suivi la victoire du Canadien en huitième de finale au printemps dernier.

Les citoyens souhaitant dénoncer leurs voisins n’avaient qu’à visiter le site internet du SPVM, où l’on retrouvait pas moins de 170 photos de suspects s’adonnant au pillage et autres gestes illégaux. Une semaine après l’émeute, le SPVM était heureux d’annoncer que trente-cinq personnes avaient été arrêtées.

Le calme qui règne à Montréal-Nord depuis l’émeute est des plus précaires, comme en témoigne un incident survenu dans la nuit du 23 au 24 août, à l’angle de Pascal et de Rolland. (15) Un jeune cycliste fut interpellé par trois auto-patrouilles pour une simple infraction au code de la sécurité routière. Des policiers en vélo arrivèrent sur les lieux tandis que d’autres voitures de police bloquèrent l’intersection.

Une centaine d’adolescents qui revenaient d’un concert s’attroupèrent pour observer les policiers, qui ont alors sorti leurs matraques. « Il aurait alors suffi d’un seul projectile lancé à gauche ou à droite pour que tout bascule à nouveau. », pouvait-on lire dans Le Journal de Montréal. La scène tendue ne donna cependant pas lieu à de nouveaux débordements.
 
« Il n’y a pas de doute, il va y avoir une reprise des violences. Ça fait beaucoup trop longtemps que la police se prend pour Dieu dans Montréal-Nord. », déclara un jeune homme, alors qu’il entrait au complexe funéraire où Fredy était exposé. (16) « Il va y avoir de la violence. Ça ne s’arrêtera pas là. Autant les mauvais jeunes que les bons sont révoltés par la mort de Fredy. » Selon lui, l’émeute de Montréal-Nord, « n’était qu’un apéritif. ».
 
« Si le maire ne nous écoute pas, Montréal-Nord va brûler une deuxième fois ! », prévint René Bastien du collectif Montréal-Nord Républik lors d’un rassemblent tenu devant l’hôtel de ville de l’arrondissement, le 20 août. (17)

Formé dans la foulée de l’émeute, Montréal-Nord Républik demande notamment la démission du maire de Montréal-Nord, Marcel Parent, la fin des pratiques abusives de la police et la reconnaissance du principe selon lequel l’insécurité sociale est indissociable de l’insécurité économique. (18)

Il n’y a pas qu’à Montréal-Nord que le niveau de haine anti-flic ne cesse de grimper. Une semaine après l’émeute, des affiches anglaises appelant « les flics et leurs complices » à « commencer à mourir » en masse apparurent dans le quartier de la Petite-bourgogne, dans le sud-ouest de Montréal. (19)

L’affiche, qui présentait l’émeute de Montréal-Nord comme une « pratique », était signée par la « Fondation James Roszco » (sic), en référence à l’individu qui aurait abattu à lui seul quatre agents de la GRC, près de la ville albertaine de Mayerthorpe, en mars 2005. Une enquête a été ouverte par le SPVM. 

Surenchère répressive et intox policière

Évidemment, la Fraternité des policiers et policières de Montréal (FPPM)  a cherché à profiter de l’émeute pour faire valoir ses habituelles revendications en matière d’accroissement d’effectifs. Notons qu’en temps normal, les effectifs du Poste de Quartier 39, situé sur le boulevard Henri-Bourassa, s’élèvent à 105 policiers.
 
« Il faut que les policiers soient assez nombreux pour marquer une certaine présence dans les parcs et dans les lieux publics », déclara le président de la FPPM, Yves Francoeur. (20) Cette revendication fut appuyée par la députée Sylvie Roy de l’Action démocratique du Québec.

Le directeur du SPVM Yvan Delorme ne tarda pas à satisfaire cette exigence. Une semaine après l’émeute, Delorme annonçait qu’une trentaine de policiers avaient été assignés temporairement à Montréal-Nord, dont une vingtaine qui font partie du groupe ÉCLIPSE, une escouade mise sur pied en juin dernier pour faire la lutte aux gangs de rue.

À cela s’ajoute plus de 130 policiers affectés à des « secteurs chauds » du nord-est de Montréal qui incluent les territoires couvert par le PDQ 39 et le PDQ 45, ce dernier étant basé à Rivière-des-Prairies. Enfin, de nouvelles caméras de surveillance ont également été ajoutées à l’édifice abritant le PDQ 39.

Questionné sur l’opportunité d’imposer un couvre-feu aux mineurs, le maire d’Huntington Stéphane Gendron se prononça sans équivoque en faveur d’une telle mesure. « Je l’imposerais certainement. », confia-t-il au Journal de Montréal. (21) « Et je suis sûr que la population suivrait. », ajouta Gendron qui s’était fait connaître du public québécois en imposant un couvre-feu aux jeunes d’Huntington, durant l’été 2004.

Le Journal de Montréal sollicita aussi l’avis du député-maire de la ville française du Raincy, Éric Raoult, qui avait imposé un couvre-feu pour les mineurs de 22 h à 6 h du matin alors que plus de 200 villes en France furent touchées par une vague d’émeutes sans précédent, en novembre 2005. Selon Raoult, à ces heures-là, la place d’un jeune est dans son lit ou bien devant la télévision, « à regarder Star Académie ».

Pendant ce temps, les flics et leurs sympathisants s’engagèrent dans une bataille pour l’opinion publique. Compte tenu de la mauvaise presse générée par la mort de Fredy, le SPVM ne lésina pas sur les moyens pour faire remonter le niveau de sympathie de l’opinion publique à l’égard de ses agents.

C’est d’ailleurs dans les moments difficiles que les policiers peuvent voir qui sont leurs « vrais amis » dans le monde des médias. Les flics furent soulagés de trouver en Richard Martineau un fidèle allié, qui décida de donner la parole aux hommes en bleu en leur prêtant sa chronique pour qu’ils puissent se vider le cœur librement dans le confort de l’anonymat. (22)
  
Les flics frustrés sautèrent alors sur l’occasion pour se plaindre des « criminels qui en mènent large » et des jeunes Noirs et latinos qui les traitent de racistes. Ils dénoncèrent la proportion grandissante de policiers de « petite taille » trop chétifs, la formation à l’École de nationale de police, à Nicolet, qui « est basée sur la police communautaire et sur le VOUS » et les « politiciens qui se sont fait du capital » en allant aux funérailles de Fredy Villanueva « avant même de connaître les résultats de l’enquête. ». Un policier affirma avec élégance qu’il en avait « plein le cul d’être le bouc émissaire de tout ce qui arrive. ».

Notons que certaines des lamentations des policiers ressemblaient à s’y méprendre à certains discours que Martineau tient habituellement dans sa chronique…

La police tenta aussi de discréditer les émeutiers de Montréal-Nord en spéculant sur la possible présence d’« agitateurs professionnels. ».
 
Dans Le Journal de Montréal, la journaliste Mélanie Brisson avança que des « agitateurs professionnels » se seraient mêlés à la foule émeutière. (23) « Certains d’entre eux n’avaient aucun lien avec Fredy Villanueva, ni avec le quartier de Montréal-Nord. », écrivit Brisson. « Ce sont simplement des agitateurs professionnels qui ont profité de la manifestation de dimanche soir, qui devait être pacifique, pour sévir. »

Le porte-parole du SPVM, Ian Lafrenière, souleva la possibilité que certains des émeutiers de Montréal-Nord pourraient avoir pris part au grabuge qui avait suivi la victoire du Canadien, en avril dernier. « On essaie de confirmer cela avec des témoins mais il y a des gens, parmi ceux sur les photos, qui auraient aussi été vus lors des événements du Centre Bell. », insista-t-il.

Bien que le porte-parole du SPVM se soit avoué incapable de confirmer cette information, cela ne l’empêcha nullement de véhiculer cette théorie cousue de fils blancs. D’ailleurs, ce ne fut pas là le seul exemple d’intox policière, loin de là.

Dans La Presse, le chroniqueur Patrick Lagacé rapporta en « primeur » que des informateurs de police de Montréal-Nord auraient apparemment eut vent que certains gangsters souhaiteraient venger la mort de Fredy en enlevant la vie à un policier. (24) Aucun agent en particulier ne serait visé.

Toutefois, cette information doit être traitée avec prudence. Le fait qu’un tuyau pareil se retrouve dans les pages d’un grand quotidien a de quoi laisser perplexe. En effet, si les policiers possédaient réellement des preuves sérieuses qu’un tel projet était en marche, qu’attendent-ils alors pour procéder à l’arrestation des conspirateurs ?

L’explication la plus probable est la suivante : jusqu’à preuve du contraire, il n’y a jamais eu de complot pour buter un flic, seulement un peu de surenchère verbale de la part de jeunes bouillant de colère. Car entre le dire et le faire, il y a un monde.

S’il n’y a pas matière à porter des accusations, certains policiers semblèrent toutefois avoir vu dans cette histoire une occasion de faire figure de victimes dans les médias, ce qui est une façon comme une autre de chercher à regagner la sympathie d’une partie de l’opinion publique.

Mais ce n’était pas là le seul « scoop » que contenait le texte de Lagacé. On y apprenait aussi que certains policiers réagirent aux dires des informateurs de Montréal-Nord en ramenant leur arme de service chez eux après leur quart de travail. Et ce, sans la permission de leur supérieur.

Voilà qui promet. En plus des patrouilleurs vite sur la gâchette, on a maintenant des policiers qui se promènent avec leur flingue sur eux après leur boulot. Cependant, s’ils avaient la mauvaise idée d’ouvrir le feu sur un citoyen, ils pourraient le regretter pendant longtemps puisqu’ils ne jouiront pas de la même protection légale qu’un policier faisant usage de son arme dans l’exercice de ses fonctions.

Cette situation est d’autant plus peu rassurante pour les jeunes de Montréal-Nord quand on sait qu’un membre du SPVM n’a pas hésité à déclarer au Journal de Montréal que les policiers du PDQ 39 auraient tous agi de la même façon que le constable Lapointe. (25) « J’aurais fait la même chose à sa place. On pense tous comme ça, ici. », affirma ce policier sous le couvert de l’anonymat.

Enfin, la semaine dernière, la gestion médiatique de l’affaire Villanueva par la direction du SPVM donna lieu à un bras de fer à saveur idéologique avec la Fraternité. Ainsi, la volonté du directeur du SPVM de poser certains gestes symboliques d’apaisement fut perçue comme un affront par la puissante FPPM. 

Ainsi, le 19 août, une assemblée spéciale de la Fraternité adopta une motion de blâme pour s’insurger contre la présence du directeur adjoint du SPVM Jean-Guy Gagnon au salon funéraire où était exposé Fredy Villanueva. (26) « Ce faisant, la haute direction, en plus de ne pas soutenir ses membres sur la place publique, a donné l’impression d’avoir plus de compassion pour la famille que de considération pour les policiers. », dénonça la motion. « Ce n’était pas la place du service de police. », affirma Yves Francoeur en entrevue au Journal de Montréal. « Les policiers ne l’acceptent pas du tout. Ils se sont sentis trahis », ajouta-t-il. « Le directeur se comporte comme un agent sociocommunautaire », s’indigna Francoeur. « Le rôle d’un directeur, c’est d’être un général [...] Les appels au calme, la politicaillerie, qu’on laisse ça aux politiciens. » (27)

Notons qu’habituellement, quand on a besoin d’un général, c’est parce qu’on veut prendre le sentier de la guerre…
  
Francoeur déclara également que la direction du SPVM devrait appuyer publiquement les deux policiers mis en cause dans l’affaire Villanueva. « On est les seuls à les supporter présentement. », déplora-t-il. « On est convaincus qu’à cause des pressions sociales, des pressions politiques, il va y avoir des accusations déposées contre notre policier. La seule chose qu’on peut lui reprocher, c’est d’avoir bien fait son travail. »

Le syndicat reprocha également au chef du SPVM de ne pas avoir donné le feu vert aux policiers anti-émeute pour mater les émeutes de Montréal-Nord et le grabuge qui a suivi la victoire du club Le Canadien sur les Bruins de Boston, en avril précédent. « Nos gens étaient là, mais il n’y avait pas d’ordre qui sortait pour les faire intervenir. », regretta Francoeur.  
 
« Nos yeux sont braqués sur la direction parce que le prochain événement, ils sont mieux de le gérer comme du monde. On est tannés d’avoir l’air fou ! », ajouta-t-il. Francoeur précisa qu’il n’en était pas rendu à réclamer la tête de Delorme. « Quand j’en arrive là, c’est parce que j’en ai plein mon casque. », précisa-t-il. Le moral des troupes par rapport à la direction est catastrophique. »
 

De l’utilité de l’émeute

La violence, ça marche. Il n’y a rien comme une bonne émeute pour sortir les médias de leur indifférence et forcer le pouvoir politique à se pencher sur de profonds problèmes de société qui ont été négligés depuis trop longtemps.

Ces mots ne sont pas de nous mais plutôt du chroniqueur Don Macpherson du journal The Gazette dans un texte intitulé « Violence works » (28), dont voici un extrait [TRADUCTION] :
  
L’émeute de dimanche n’a pas résolu les problèmes de Montréal-Nord. Mais il est sûr et certain qu’elle a attiré notre attention à leur égard, tout comme les attentats du Front de libération du Québec durant les années ’60 poussèrent le Canada à se pencher sur les doléances des Québécois francophones.
  
Les politiciens n’avaient rien à dire au sujet de la fusillade jusqu’à ce qu’éclate l’émeute le jour suivant. Et à ce moment-là, ils semblèrent se soucier davantage de la valeur des propriétés et des primes d’assurance à Montréal-Nord (qui demeure un endroit où il fait bon vivre, disent-ils) plutôt que d’apporter une réponse aux appels à la justice lancés par les résidents.
  
Maintenant, au lieu de “What does Quebec want” [Que veut le Québec ?], la question est “What does Montreal North need ?” [De quoi Montréal-Nord a-t-il besoin ?]. Pour trouver des réponses, nous sollicitons les « porte-paroles » des minorités, élus avec des subventions gouvernementales, que nous avons discrédités dans leur communauté en les ignorant pendant si longtemps. Car les « leaders » qui n’apparaissent pas comme étant efficaces dans leur milieu ne demeurent pas des leaders.
  
Leur téléphone cessera de sonner assez vite. Nous allons tous nous lasser de parler de Montréal-Nord après les funérailles de Villanueva aujourd’hui, à moins qu’il n’y ait d’autres brasiers à montrer à la une et au bulletin de nouvelles (nous avons un coup de cœur pour les flammes). 
 
Sans l’émeute, les médias n’auraient jamais montré autant d’intérêt envers les conditions de vie difficiles que connaissent de nombreux résidents de Montréal-Nord.

On aurait peut-être jamais su que 40 % de la population vit sous le seuil de la pauvreté, que le revenu moyen par famille est de 20 000 $ inférieur à celui du reste de l’île de Montréal, que le pourcentage de familles monoparentales s’élève à 28 % (comparativement à 21 % pour Montréal), que 45 adolescentes sur 1000 sont mères (28 pour 1000 à Montréal), que 42,5 % des personnes âgées de 20 ans n’ont pas de diplôme d’études secondaires (contre 26,5 % sur le reste de l’île de Montréal). (29)

Sans l’émeute, on aurait peut-être jamais appris qu’on dénombre 24 000 résidants au kilomètre carré dans ce fameux secteur de Montréal-Nord surnommé « le Bronx », ce qui représente un taux de concentration de population qui est de deux fois plus élevé que celui du Plateau-Mont-Royal.

Sans l’émeute, l’éditorialiste Jean-Marc Salvet du quotidien Le Soleil n’aurait peut-être jamais parlé de ces « secteurs abandonnés, laissés à eux-mêmes » et déploré l’absence d’une « réelle énergie politique » qui viserait « à casser le cercle vicieux de la pauvreté qui favorise la violence et de la violence qui confine à la pauvreté. ». (30) 
 
« Entre bandes criminelles, incivilités, lente dégradation des logements, difficultés d’intégration, frustration, désœuvrement et chômage, les portes de sortie sont peu nombreuses. », constata l’éditorialiste. « Les espoirs, pas très grands. Des populations sont prises au piège de la vie. C’est le plus intolérable. C’est pourtant ce que nous tolérons parce que nous préférons regarder ailleurs. »

« Le grand paradoxe, finalement, est que les policiers sont souvent les seuls représentants de l’État - ou disons des autorités publiques - à être présents dans des zones comme celle-là ! », souligna-t-il.

Sans l’émeute, il y a fort à parier que Richard Martineau n’aurait jamais utilisé sa tribune pour prodiguer des conseils sur la manière de dénoncer les abus policiers, un thème qui ne semble pourtant guère le captiver puisqu’on a du mal à se rappeler quand fut la dernière fois qu’il a écrit sur ce sujet… 

« Vous voulez dénoncer le harcèlement policier ? Formez une association, composez une toune rap, filmez ce qui se passe dans votre quartier et montrez vos images aux médias - bref, faites quelque chose de constructif au lieu de tout détruire. », prêcha Martineau. (31) Ironiquement, les recommandations de Martineau sur la manière de se plaindre du harcèlement policier furent formulées dans une chronique où il se plaignait de ceux qui se plaignent de leur sort…

Sans l’émeute, les médias n’auraient jamais consacré autant d’espace à traiter de la question du profilage racial mené par le SPVM. En effet, dans les journées qui suivirent l’émeute, les médias diffusèrent un nombre record de témoignages de victimes de profilage racial.
 
« Les travailleurs communautaires et les citoyens interrogés par les médias ont déploré l’attitude agressive des policiers dans leurs rapports quotidiens avec les jeunes du quartier de même que la pratique, apparemment répandue, du profilage racial. », nota d’ailleurs André Pratte, éditorialiste à La Presse. (32) « Ces propos ont été exprimés par trop de personnes pour être dénués de tout fondement. »

Enfin, sans l’émeute, les médias n’auraient jamais autant débattu des problèmes de crédibilité soulevés par la politique ministérielle consistant à confier à un autre corps policier une enquête lorsqu’un citoyen meurt ou subit des blessures graves durant une opération policière.

Le journaliste Henry Aubin du quotidien The Gazette est l’un des rares qui manifeste un intérêt soutenu sur la question des morts d’homme aux mains de la police. Dans une récente chronique, Aubin n’hésita pas à parler de « cover-up systématique » en évoquant la politique ministérielle. (33)

L’année dernière, Aubin avait révélé que cinquante-trois personnes étaient mortes lors d’interventions policières à la grandeur du Québec entre janvier 2005 et septembre 2007. (34) Ce qui donne une moyenne d’environ vingt morts par année. La politique ministérielle fut appliquée lors des enquêtes qui suivirent chacun des cinquante-trois décès. Or, le ministère de la Sécurité publique du Québec refusa de dire à combien d’occasion l’enquête avait pu établir que la conduite des policiers mis en cause avait été inappropriée. Ces révélations auraient dû tirer la sonnette d’alarme chez les médias québécois. Or, seul The Gazette démontra un intérêt réel pour cette question.

Les problèmes de transparence concernant la politique ministérielle n’ont pourtant rien de nouveau puisque ce type d’enquête a maintes fois été décrié par des groupes de défense des droits.

En 1996, la crédibilité des enquêtes de la SQ sur les morts d’homme aux mains d’agents du SPVM fut sérieusement ébranlée. En effet, cette année-là l’ex-caporal de la SQ, Gaétan Rivest, confessa publiquement qu’il avait manipulé l’enquête portant sur la mort d’Yvon Lafrance, de manière à blanchir l’agent du SPVM Dominic Chartier. (35)

Rivest affirma que l’agent Chartier lui avait déclaré que c’était « les nerfs » qui l’avaient incité à ouvrir le feu sur Lafrance, qui se trouvait en état d’ébriété avancé et brandissait un couteau. Or, le Code criminel n’offre aucune protection aux policiers qui font usage d’une force mortelle simplement à cause de leurs nerfs.

Cette révélation aurait dû jeter un doute légitime sur toutes les enquêtes menées par la SQ sur les morts d’homme causées par les forces policières. Or, Rivest aurait pu pisser dans un violon, l’impact aurait été le même. La SQ put donc continuer à enquêter sur les bavures du SPVM, comme si de rien n’était.

Suite à la mort de Fredy, le problème de crédibilité des enquêtes menées en vertu de la politique ministérielle devint un objet de débat dans les pages éditoriales des grands quotidiens québécois. De toute évidence, c’est la crainte de nouvelles émeutes dans les « quartiers chauds » de Montréal qui sembla inspirer ce soudain regain d’intérêt politique et médiatique sur la question.

N’est-il pas révélateur en soi que le maire Gérald Tremblay ait attendu le lendemain de l’émeute pour demander au ministre de la Justice et de la Sécurité publique Jacques Dupuis « qu’une enquête complète et transparente soit faite, et ce, dans les meilleurs délais » ? (36) N’est-ce pas là la première fois que le maire Tremblay réagit de la sorte après la mort d’un citoyen des suites d’une intervention policière ?

N’est-ce pas la crainte de nouveaux débordements qui incita l’éditorialiste Bernard Descôteaux, du Devoir, à écrire qu’« il faudra un rapport d’enquête convaincant pour que ne soient pas avivées davantage les tensions dans cet arrondissement » ? (37)
 
« La transparence devra être à la hauteur de la méfiance des gens du coin. », proposa de son côté André Pratte de La Presse.
 
« Sans mettre en doute la probité des enquêteurs spéciaux de la SQ, le gouvernement doit reconnaître que la gravité de la situation commande une enquête plus indépendante. », écrivit Gilbert Lavoie dans Le Soleil. (38) « À tort ou à raison, les policiers ont la réputation de se protéger entre eux. De plus, une enquête policière n’expliquera pas la situation visiblement tendue vécue par les policiers à Montréal-Nord, de même que les problèmes sociaux que vivent les jeunes de ce district. Il faut laisser à un civil crédible le soin de faire la lumière sur ces incidents. »

« C’est triste mais souvent, ça prend des cas comme celui de cette semaine pour faire avancer le débat. », déclara André Marin, un ancien procureur de la Couronne Franco-ontarien, qui s’était fait connaître lorsqu’il occupait le poste de directeur de l’Unité des enquêtes spéciale de l’Ontario, de 1996 à 1998, cette « police des polices » dont nous parlerons plus en détail ci-dessous. (39)
 
« Nous avons eu le même débat que vous il y a 20 ans, après que plusieurs Noirs eurent été tués par des policiers en Ontario, et nous en sommes venus à la conclusion que les policiers n’avaient pas les compétences pour enquêter sur d’autres policiers. », continua Marin. « Les enquêtes menées par la police dans des circonstances semblables ne sont pas aussi rigoureuses et ont tendance à démontrer du favoritisme. En fait, l’enquête veut souvent justifier le travail policier plutôt que d’établir les faits. Malheureusement, votre système souffre du même problème. », affirma-t-il. « Même si c’est un corps policier d’une autre juridiction qui enquête, ça reste des policiers et ils sont toujours intéressés car c’est leur métier. Ils vont trop souvent être non objectifs et non impartiaux. », déclara Marin, avant d’ajouter : « Même si les policiers s’avèrent objectifs, ça ne donne pas l’apparence de justice, et le public a soif de justice. »
 
Le porte-parole du Parti québécois en matière de Sécurité publique, Jacques Côté, avait le même type de préoccupations lorsqu’il demanda la tenue d’une enquête publique, de même que de nombreux organismes de défense de droit. « Je n’ai rien contre la SQ. », expliqua le député Côté. (40) « Mais qu’arrivera-t-il si les policiers sont exonérés ? Que pensez-vous que les gens vont se dire ? La police a une fois de plus protégé la police. »

Bien que le ministre Dupuis n’ait pas fermé la porte à la tenue d’une enquête publique, il reste que ce n’est pas demain la veille que le gouvernement québécois remettra en cause le statu quo qui règne au sujet des enquêtes sur les morts d’homme aux mains de la police.

Réagissant aux nombreux commentaires exprimés de part et d’autres, le ministre Jacques Dupuis s’est dit ouvert aux changements, mais a ajouté du même souffle qu’il considérait toujours le système actuel efficace. (41)
Une enquête bidon ?
D’ailleurs, les problèmes dans l’enquête sur la mort de Fredy ne tardèrent pas à se manifester. Ainsi, trois jours après la bavure policière qui coûta la vie au jeune Villanueva, on apprenait que les enquêteurs de la SQ n’avaient toujours pas interrogé les deux policiers à l’origine de l’incident.
 
« C’est définitivement une pratique courante. », assura le lieutenant François Doré de la SQ. « Ces gens-là (policiers) sont traités de la même façon que les citoyens ordinaires. » (42)

Cette affirmation fut accueillie avec scepticisme par le criminologue Jean-Claude Brodeur. « Soixante pour cent des homicides sont élucidés en moins d’une journée. En général, le principal suspect est interrogé dans les heures suivant le meurtre. Les règles sont différentes quand l’auteur de l’homicide volontaire ou non est un policier. », indiqua Brodeur.

La SQ souligna que l’agent Lapointe jouissait du droit au silence en sa qualité de suspect. Or, le droit au silence n’a jamais empêché un enquêteur d’interroger un suspect. En effet, si le suspect n’a aucune obligation de répondre, l’enquêteur, lui, peut passer une nuit entière à poser des questions.

Benoît Gariépy, avocat criminaliste et ancien procureur et conseiller juridique pour la police de Saint-Hubert, ne cacha pas son étonnement en apprenant que la policière qui accompagnait l’agent Lapointe n’avait toujours pas été interrogée.

« Elle aurait dû, par son travail, faire un rapport dans les moments qui suivent. », expliqua-t-il. De plus, la Loi sur la police l’oblige à participer à l’enquête de la SQ.

Pour sa part, le criminologue André Normandeau croit que les enquêteurs de la SQ pourraient avoir commis « une certaine faute de procédure » en tardant autant avant de rencontrer les deux policiers. (43) « Dans les directives, on dit qu’il faut interroger les témoins le plus tôt possible. », indiqua Normandeau.
 
« L’explication des policiers est de dire qu’ils sont traumatisés et qu’on doit attendre un certain temps avant de les interroger. », affirma le criminologue. « Mais on pourrait dire que les autres témoins civils sont aussi traumatisés. »
 
« Les enquêteurs trouvent toujours de bonnes raisons pour expliquer le retard d’un interrogatoire de témoin policier. », souligna Louise Viau, professeure de droit à l’Université de Montréal. « Bien entendu, ces nombreux délais offrent aux policiers l’occasion de peaufiner leur version des faits. »

Neuf jours après la mort de Fredy, la SQ refusait toujours de confirmer formellement si elle avait interrogé les deux policiers mis en cause. (44) Tout au plus, la SQ affirma qu’un contact avait été établi avec les deux agents.

Selon le chroniqueur judiciaire Claude Poirier, les deux policiers mis en cause vont d’abord fournir leur version de faits… par écrit. (45) Comme c’est commode ! Pourquoi pas par courriel tandis qu’on y est ?
  
« On ne peut pas avoir confiance en cette enquête. », trancha André Marin. « Dans toute enquête criminelle compétente, on veut interviewer les témoins immédiatement après les faits ! C’est à ce moment que les témoignages sont les plus fiables, que la preuve est la plus fraîche. Pas une semaine après. » (46) Selon lui, « À chaque minute qui passe, le témoignage du policier-témoin de Montréal-Nord, celui qui n’a pas tiré, est affaibli. ».

Paul Dionne, le coroner affecté au dossier, fut l’un des rares à se porter publiquement à la défense de l’enquête de la SQ. Il s’est dit satisfait du déroulement de l’enquête et assura qu’elle était transparente. (47) Le coroner Dionne déposera son rapport final lorsque l’enquête de la SQ sera terminée.

Notons que le bureau montréalais du coroner se trouve au onzième étage de l’Édifice Wilfrid-Derome, 1701, rue Parthenais, soit le même édifice qui loge le Grand Quartier Général de la SQ. 
L’herbe n’est pas plus verte du côté ontarien
Au moment même où la presse écrite québécoise se questionnait sur la pertinence de la politique ministérielle, le quotidien The Toronto Star publiait un important article au sujet des déboires de l’Unité des enquêtes spéciales (SIU, selon son acronyme anglais), la soi-disant « police des polices » de l’Ontario. (48)

L’Ontario a été la première province canadienne à se doter d’un organisme indépendant chargé de faire enquête sur les bavures policières. Depuis 1990, tous les corps policiers ontariens sont tenus de contacter les enquêteurs du SIU lorsqu’un policier est impliqué dans un incident entraînant la mort ou des blessures sérieuses chez un citoyen.

Le SIU compte quarante et un enquêteurs, dont vingt-deux à temps plein. Notons que cinq des enquêteurs à temps plein sont d’anciens policiers. Ceux-ci ne peuvent toutefois pas faire enquête sur des incidents impliquant leur ancien corps policier. Le SIU relève du Procureur général de l’Ontario. Il est actuellement dirigé par James Cornish, un ancien procureur de la couronne.

Les proches des personnes tombées sous les balles de la police se plaignent de plus en plus du manque de transparence du SIU. Ainsi, le SIU refuse de remettre des copies des dépositions des témoins d’un incident sous enquête sous prétexte que cela contreviendrait à la loi ontarienne sur l’accès à l’information et la protection de la vie personnelle.

En 1998, l’ancien juge George Adams avait fait enquête sur le SIU et lancé un appel à une transparence accrue. Adams avait notamment recommandé que les rapports d’enquête du SIU soient rendus publics lorsqu’aucune accusation n’est retenue contre les policiers. Cinq ans plus tard, cette recommandation n’avait toujours pas été appliquée.

Le nombre d’enquêtes aboutissant à des accusations contre des policiers fautifs laisse aussi à désirer. Depuis 2003, le SIU a blanchi la police dans vingt-neuf des trente et une enquêtes sur des morts d’homme aux mains de la police. Quant aux deux dernières enquêtes, elles ne sont pas encore terminées.

Le SIU fait présentement l’objet d’une enquête de la part du protecteur du citoyen de l’Ontario, qui a reçu vingt plaintes contre cet organisme de la part de familles des victimes, d’avocats et de groupes d’intérêt. Le rapport de l’ombudsman, qui est nul autre qu’André Marin, doit d’ailleurs être remis le mois prochain.

Enfin, le SIU fait également l’objet d’une poursuite au civil de 2 millions $ pour sa négligence relativement à l’enquête sur la mort de Duane Christian, un jeune de 15 ans qui est mort sous les balles de la police métropolitaine de Toronto, en juin 2006.

Le SIU avait blanchi les policiers impliqués dans l’affaire deux mois après la mort de Christian. Or, à ce moment-là, les enquêteurs du SIU n’avaient pas encore reçu le rapport du pathologiste et n’avaient même pas pris la peine de rencontrer le constable Steve Darnley, qui avait ouvert le feu, même si ce dernier s’était montré prêt à offrir sa version des faits.

Bref, le SIU est loin d’être un modèle à suivre. 
Gangs de rue et émeutes font-elles bon ménage ?
Comment parler des événements de Montréal-Nord en passant sous silence le phénomène des gangs de rue ? Après tout, la lutte aux gangs de rue sert d’alibi aux policiers qui s’adonnent au profilage racial à Montréal-Nord et dans d’autres secteurs de la métropole.

Il ne faut pas se le cacher : Montréal-Nord est probablement le seul endroit sur l’île où les flics se font délibérément tirer dessus par de présumés membres de gang.

Le 7 mai dernier, un projectile d’arme à feu fracassa la vitre arrière d’une mini-fourgonnette du SPVM qui patrouillait à Montréal-Nord, à l’angle des rues Pascal et Lapierre. (49) Le policier qui se trouvait à l’intérieur du véhicule n’a pas été blessé, mais l’incident donna lieu à un véritable branle-bas de combat chez les forces de l’ordre.

Les effectifs du Groupe tactique d’intervention (SWAT) et les groupes d’intervention débarquèrent en trombe et bouclèrent complètement le secteur situé entre les rues Lapierrre, Rolland, Maurice-Duplessis et Langelier.

Trois personnes furent arrêtées, dont l’un fut accusé d’intimidation et d’entrave au travail des policiers pour leur avoir demandé « s’ils avaient compris le message. » Le tireur n’a jamais été trouvé.

L’année précédente, l’agent Stéphane Edme s’était fait tirer dessus alors qu’il rentrait à son domicile, sur la rue Armand-Lavergne, à Montréal-Nord. Le policier Edme, qui n’était pas en service à ce moment-là, avait pesé sur l’accélérateur et n’avait pas été touché.

Un individu nommé Godson Descollines fut arrêté sur les lieux quelques minutes plus tard. Descollines avait déjà été arrêté par l’agent Edme auparavant relativement à une affaire de violence conjugale. Selon la police, Descollines, dit « Big Dread », était membre des Krazz Brizz, un gang basé dans le quartier Saint-Michel. (50)

En juin dernier, Descollines fut acquitté parce que la poursuite n’avait pas réussi à présenter une preuve d’identification hors de tout doute raisonnable. (51) L’agent Edme fut passablement contrarié par le verdict. « Je travaille pour ce système de justice et voilà comment on me traite en retour. », se lamenta Edme. Comme si le simple fait que le plaignant dans ce dossier était policier aurait dû nécessairement entraîner un verdict de culpabilité !

Il y a fort à parier que l’individu qui a fait feu sur les policiers durant l’émeute du 10 août 2008 était lui aussi un gars de gang. D’ailleurs, la rue Pascal, qui fut l’un des principaux points chauds de l’émeute, était réputée être le fief du gang des Bo-Gars durant les années ’90. (52)

Toutefois, compte tenu de l’ampleur de l’émeute du 10 août dernier, il serait trompeur de réduire cet événement à une simple manifestation du phénomène de gangs de rue.

Comme on le sait, c’est à Montréal-Nord qu’apparurent les premiers gangs de rue montréalais, les Master B et les Bo-Gars, durant la deuxième moitié des années ’80. Comme on le sait sûrement aussi, c’est à Los Angeles, au début des années ’70, que furent créés les Bloods et les Crips, ces deux grandes familles de gangs de rue qui inspirèrent des générations de jeunes gangsters nord-américains, incluant ceux de Montréal.

Ce qui est moins connu, c’est que les grandes émeutes de Los Angeles façonnèrent l’histoire des gangs de rue de cette immense métropole californienne.

En août 1965, les émeutes de Watts représentèrent un tournant à cet égard. C’est l’arrestation, jugée abusive, d’un automobiliste noir qui fut l’élément déclencheur de ce soulèvement urbain qui dura six jours. Trente-quatre personne perdirent la vie, plus de 1000 personnes furent blessées, dont quatre-vingt dix flics, tandis que près de mille commerces et édifices furent pillés, saccagés ou incendiés.

C’est après les émeutes de Watts que plusieurs des gangs de L.A. se fusionnèrent pour fonder des organisations politiques révolutionnaires viscéralement opposés à la police, dont la plus célèbre fut le Black Panther Party. (53) Durant la deuxième moitié des années ’60, l’existence des gangs de rue fut réduite au strict minimum dans les quartiers Noirs de L.A.

En 1970, le chapitre local du Black Panther Party avait été décimé sous l’effet conjugué d’une répression policière violente, de conflits avec d’autres organisations et de dissensions internes qui étaient parfois alimentés par le FBI dans le cadre du programme COINTELPRO. Les Crips les Bloods virent le jour dans le contexte du vide causé par la soudaine disparition des Black Panther.

C’est l’arrestation violente d’un autre automobiliste noir, en l’occurrence Rodney King, qui fut à l’origine des émeutes de Los Angeles d’avril-mai 1992. Les policiers Blancs qui avaient tabassé King ignoraient qu’ils étaient filmés par un vidéaste amateur. Les émeutes éclatèrent lorsque les flics furent acquittés par un jury formé en majorité de Blancs.

Les émeutes de 1992 furent encore plus meurtrières et destructrices que celles de Watts. Cinquante-trois personnes y trouvèrent la mort et 2000 autres furent blessées. Pas moins de 3600 incendies furent allumés, détruisant 1100 édifices. Certaines estimations portent les dommages à 1 milliard $.

Les émeutes de L.A. coïncidèrent avec la trêve conclue entre les Bloods et les Crips quelques jours avant le début des émeutes. (54) Les membres de gangs jouèrent un rôle de premier plan durant les émeutes, en prenant souvent des initiatives qui seront ensuite imitées par les foules agitées.

Après les émeutes, les Bloods et les Crips profitèrent du momentum créé par cette crise pour mettre de l’avant une série de propositions conjointes destinées à promouvoir l’émancipation socio-économiques des résidents des quartiers ghettos de L.A. (55)

Qu’ils soient « Bleus » ou « Rouges », de la famille des Crips ou des Blood, les jeunes gangsters des « quartiers chauds » montréalais sont souvent confrontés aux mêmes difficultés socio-économiques. Peut-être trouveront-ils en la police un ennemi commun capable de les pousser à dépasser le clivage des gangs, à l’instar des Bloods et des Crips lors des émeutes de L.A. de 1992 ?

Cette possibilité n’est peut-être pas aussi farfelue qu’elle pourrait le sembler à première vue. Ainsi, le lendemain de l’émeute du 10 août 2008, un travailleur de rue exprimait la crainte que les jeunes de Montréal-Nord ne s’allient à ceux de Saint-Michel. (56) Or, les « Bleus » dominent le quartier St-Michel tandis que leurs rivaux, les « Rouges », tiennent le haut du pavé à Montréal-Nord. « S’il y a une alliance, il y aura beaucoup de grabuge. », prévint l’intervenant.
 
Sources :

(1) Le Journal de Québec, « De génération en génération », J. Jacques Samson, 14 août 2008.
(2) La Presse, « Un policier de Montréal tue un jeune de 18 ans », Philipppe Orfali, 10 août 2008.
(3) Le Journal de Montréal, « Le frère en colère », David Santerre, 12 août 2008.
(4) La Presse, « C’était irréel, comme dans un jeu vidéo », Catherine Handfield, 13 août 2008.
(5) La Presse, « Mon frère a juste essayé de m’aider », Catherine Hanfield, 12 août 2008.
(6) Le Devoir, « Colère et incrédulité à Montréal-Nord », Lise-Marie Gervais, 12 août 2008.
(7) La Presse, « Montréal-Nord s’embrase », Philippe Orfali, 11 août 2008.
(8) Le Journal de Montréal, « Montréal-Nord s’embrase », Alexandre Geoffrion-McInnis, 11 août 2008.
(9) La Presse, « Un photographe de La Presse attaqué », Sophie Ouimet-Lamothe, 11 août 2008.
(10) Le Journal de Montréal, « Des médias pris à parti », Gabrielle Duchaine, 12 août 2008.
(11) La Presse, « Le chaos laisse la place à la colère », Hugo Meunier, 12 août 2008.
(12) The Gazette, « We never saw anything like this : Police chief », Jason Magder, August 11, 2008.
(13) Le Journal de Montréal, « Le calme revient », Gabrielle Duchaine, 12 août 2008.
(14) La Presse, « Douze jeunes arrêtés à Rivière-des-Prairies », Daphné Cameron, 14 août 2008.
(15) Le Journal de Montréal, « Suspicion et tension », Michel Larose, 25 août 2008.
(16) La Presse, « Colombes et ballons blancs pour ‘Pipo’ », Daphné Cameron et Philippe Orfali, 15 août 2008.
(17) Le Journal de Montréal, « Tension lourde au conseil », Nicolas Dubois, 21 août 2008.
(18) Pour en savoir plus plus, voir : 
http://www.montrealnordrepublik.blogspot.com/
(19) The Gazette, « Cops probbe death threat », August 21, 2008.
(20) La Presse, « La Fraternité des policiers veut plus d’effectifs », Philippe Orfali, 12 août 2008.
(21) Le Journal de Montréal, « Au lit, les jeunes », Fabrice de Pierrebourg, 14 août 2008.
(22) Le Journal de Montréal, « Les flics parlent », Richard Martineau, 15 août 2008.
(23) Le Journal de Montréal, « Des agitateurs professionnels », Mélanie Brisson, 15 août 2008.
(24) La Presse, « Des policiers sur les dents », Patrick Lagacé, 15 août 2008.
(25) Le Journal de Montréal, « Le tireur défendu par ses collègues », Mélanie Brisson, 15 août 2008.
(26) Le Journal de Montréal, « Motion de blâme contre la direction », Mélanie Brisson, 21 août 2008.
(27) Le Journal de Montréal, « J’en ai plein mon casque », Mélanie Brisson, 21 août 2008.
(28) The Gazette, « Lessons from riot : Violence works », Don Macpherson, August 14, 2008.
(29) La Presse, « Montréal-Nord en chiffres », 12 août 2008.
(30) Le Soleil, « Au-delà des casseurs », Jean-Marc Salvet, 12 août 2008.
(31) Le Journal de Montréal, « C’est pas moi, c’est eux », Richard Martineau, 13 août 2008.
(32) La Presse, « Après l’émeute, les questions », André Pratte, 12 août 2008.
(33) The Gazette, « We need full probe into the riot », Henry Aubin, August 12, 2008.
(34) The Gazette, « Alarming number of Quebecers have died at police hands », Henry Aubin, September 8, 2007.
(35) La Presse, « L’art de gommer les erreurs dans un rapport de police », Denis Arcand, 16 mai 1996.
(36) La Presse, « Dupuis promet une enquête transparente », Malorie Beauchemin, 12 août 2008.
(37) Le Devoir, « Une police de la police », Bernard Descôteaux, 16 août 2008.
(38) Le Soleil, « Danger, la violence attire la violence », Gilbert Lavoie, 12 août 2008.
(39) Le Journal de Montréal, « La SQ qui enquête sur le SPVM - Problème de crédibilité », Jesssica Nadeau, 15 août 2008.
(40) The Gazette, « PQ demands inquiry », Philip Gauthier, August 12, 2008.
(41) The Gazette, « Dupuis stands by probes of police shootings », Philip Authier, August 15, 2008.
(42) La Presse, « Les policiers n’ont pas encore été interrogés », Caroline Touzin, 13 août 2008.
(43) La Presse, « Interrogation des policiers : ‘une certaine faute de procédure’ », Judith Lachapelle, 14 août 2008.
(44) La Presse canadienne, « Montréal-Nord : le SPVM a arrêté 35 personnes », Pierre St-Arnaud, 18 août 2008.
(45)
http://lcn.canoe.com/lcn/infos/faitsdivers/archives/2008/08/20080813-222218.html
(46) La Presse, « Si Montréal-Nord était en Ontario », Patrick Lagacé, 14 août 2008.
(47) Le Journal de Montréal, « Deux balles ont été fatales », Nicolas Dubois, 15 août 2008.
(48) The Toronto Star, « Those with loved ones killed by police say hey can’t find out crucial information », Robyn Doolittle and Joanna Smith, August 16, 2008.
(49) Le Journal de Montréal, « Digne d’un film de western », Charles Poulin, 8 mai 2008.
(50) La Presse, « Tentative de meurtre : le suspect et le policier se connaissaient », Caroline Touzin, 23 juin 2007.
(51) Le Journal de Montréal, « Accusé d’avoir fait feu sur un agent - Descollines acquitté », David Santerre, 27 juin 2008.
(52) Le Journal de Montréal, « Présence accrue dans le ‘Bronx’ », Vincent Larouche, 9 mai 2008.
(53) ALONSO, Alex « Black Street Gangs in Los Angeles : A History ». Le texte est disponible à l’adresse suivante :
http://www.streetgangs.com/history/hist01.html
(54) « The Rebellion in Los Angeles : The Context of a Proletarian Uprising ».
Voir :
http://www.geocities.com/aufheben2/auf_1_la.html
(55)
http://www.gangresearch.net/GangResearch/Policy cripsbloodsplan.html

(56) La Presse, « Du jamais vu à Montréal », Annie Mathieu, 12 août 2008.