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Déontologie policière : le chien de garde sans dentier

14.09.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 17 décembre 2024 : https://pivot.quebec/2024/12/17/deontologie-policiere-le-chien-de-garde-sans-dentier/

 

Déontologie policière: le chien de garde sans dentier

La machine à rejeter les plaintes sert les intérêts policiers.

Par Alexandre Popovic

Paru plus tôt cet automne, le rapport annuel 2023-2024 de la Commissaire à la déontologie policière, Mélanie Hillinger, a suscité zéro intérêt chez les médias mainstream.

Le document est pourtant révélateur de la sous-performance du système de traitement des plaintes du public à l’égard de flics soupçonné·es de dérogations au Code de déontologie des policiers du Québec.

On y apprend que la Commissaire a reçu un total de 2611 plaintes et qu’elle a décidé de citer 93 flics devant le Tribunal administratif de déontologie policière. Ce nombre correspond à seulement 4 % du nombre de plaintes reçues.

Bien évidemment, une citation n’entraine pas nécessairement une déclaration de culpabilité. Le nombre de flics qui seront sanctionné·es au terme du processus déontologique promet donc d’être encore plus minuscule.

Les apologistes de la police y verront une preuve inattaquable de la quasi-perfection de la force constabulaire québécoise. Minute, papillon!

Comme l’indique le rapport, 169 enquêtes déontologiques ont été décrétées. La Commissaire a donc ainsi jugé que seulement 6 % des plaintes reçues méritaient une enquête. Bref, 94 % des plaintes ont été rejetées sans même avoir été l’objet d’une enquête. Merci, bonsoir!

Ainsi, une plainte rejetée n’est pas nécessairement mal fondée. Pensons aux 131 dénonciations qui ont pris le chemin de la poubelle pour cause de « prescription », le délai d’un an pour porter plainte ayant été dépassé. À cela s’ajoutent 150 autres dossiers fermés parce que la personne plaignante a omis de donner signe de vie à la Commissaire dans « le délai signifié ».

Quant aux dénonciations « jugées frivoles, vexatoires ou portées de mauvaise foi », elles ne représentent que 94 (5 %) des plaintes rejetées à l’étape de l’analyse préliminaire.

Avec sa petite baguette magique, la Commissaire fait disparaître les plaintes par milliers. 

Ce que le rapport annuel ne dit pas, c’est que les plaintes multiples portant sur un même événement sont rejetées selon la règle du « premier arrivé, premier servi ». En effet, ce motif de rejet de plainte n’est nulle part mentionné dans le rapport ni dans ceux des années précédentes.

Quand j’ai adressé une demande d’accès à l’information pour pallier cette absence de données, la Commissaire n’a même pas été capable de me fournir le nombre exact de plaintes rejetées sous ce motif, ni de me dire à quelle date sa politique de rejet des plaintes multiples est entrée en vigueur, sinon que c’est « au cours de l’automne 2020 ».

Pour couronner le tout, cette politique n’a jamais été couchée par écrit. C’est à se demander si l’idée n’est pas apparue par un soir de brosse.

L’arnaque de la conciliation

La conciliation est l’une des principales causes de fermeture de dossiers de plainte. Il s’agit d’un processus dans lequel la personne plaignante rencontre le ou la flic visé·e par la dénonciation en présence d’un conciliateur ou d’une conciliatrice. Le but : « résoudre » la plainte par une petite jase autour de la table.

Si la victime se résigne à accepter les explications du flic (comme c’est le cas les trois quarts du temps), « la plainte est alors réputée être retirée », comme l’énonce la Loi sur la police. La conciliation lave donc le flic de toute responsabilité déontologique. Mieux encore (pour le flic) : son dossier ne comportera aucune mention de la plainte. Comme si rien ne s’était passé.

Le processus de conciliation est aussi frappé du secret. Les parties doivent même signer un engagement de confidentialité qui les condamne au silence.

Le gouvernement veut une déontologie à bon marché et la Commissaire livre la marchandise.

Les victimes sont-elles ravies de savoir que leur plainte a fini en cul-de-sac? La question ne semble pas intriguer la Commissaire. Lorsque je lui ai adressé une demande d’accès à l’information pour obtenir tout sondage portant sur la satisfaction exprimée envers la conciliation, l’organisme m’a répondu ne détenir aucun document.

De toute façon, l’idée derrière la conciliation est surtout de sauver du fric. La conciliation est en effet devenue obligatoire, faisant ainsi de l’enquête déontologique une mesure d’exception, dans les années 1990, à l’époque où l’atteinte du déficit zéro s’est imposée comme nouveau dogme en matière de finances publiques.

Le gouvernement veut une déontologie à bon marché et la Commissaire livre la marchandise. Le rapport annuel mentionne ainsi que la Commissaire a décrété 867 conciliations. Le nombre de séances de conciliation a même bondi de 34 % par rapport à 2022-2023. Belle job!

Moins de plaintes, plus d’économies

« Depuis le 5 octobre, les citoyens peuvent dénoncer une situation au Commissaire par plainte ou par signalement », lit-on sur la page d’accueil du site Web de la Commissaire.

On nous fait miroiter que cette nouvelle possibilité du « signalement » est un plus, mais les apparences sont trompeuses.

Il faut savoir que le projet de loi 14 du ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, a retiré aux tiers le droit de porter plainte en déontologie policière. Désormais, il faudra avoir été témoin ou directement victime de la conduite reprochée pour exercer ce droit. À défaut d’être ni un·e ni l’autre, il faudra se contenter de faire un signalement.

On peut parler d’un recul historique.

Le rapport annuel 2023-2024 n’en parle pas, car ces nouvelles mesures n’étaient pas encore entrées en vigueur au moment de sa publication. Il faut donc s’attendre à une baisse du nombre de plaintes dans le prochain rapport annuel.

Depuis les débuts du système québécois de déontologie policière, en septembre 1990, toute personne disposait du droit de porter plainte. On peut donc parler d’un recul historique.

Marc-André Dowd, le commissaire précédent et actuel « Protecteur » du citoyen, s’est fait le principal promoteur de la perte du droit de porter plainte pour les tiers. Mais pourquoi?

Eh bien, d’une part, les décisions rejetant les plaintes fournissaient trop d’informations à son goût à la personne tierce plaignante. Il faut donc s’attendre à ce que les décisions rendues en matière de signalement soient moins loquaces et donc moins nutritives sur le plan informationnel.

D’autre part, cette mesure permettra de faire de nouvelles économies. Donner moins d’information, c’est moins d’ouvrage, donc moins d’heures de travail à payer.

Les gouvernements préfèrent surfinancer la police et racler les fonds de tiroirs pour la déontologie.

Il faut dire que le bureau du commissaire a toujours souffert de sous-financement. Les « ressources limitées » de l’organisme sont d’ailleurs systématiquement mentionnées parmi les motifs de rejet de plainte.

Avec 50 membres du personnel et un budget de 5,4 millions $, la Commissaire ne fait pas le poids en comparaison d’un appareil policier plein aux as. Quand on parle de police au Québec, on parle de près de 3 milliards $ par année (sans la GRC). Rien de moins!

Ce n’est donc pas que l’argent manque, c’est juste que les gouvernements préfèrent surfinancer la police et racler les fonds de tiroirs pour la déontologie.

Avec sa petite baguette magique, la Commissaire fait disparaître les plaintes par milliers. Mais pas le sentiment d’injustice des victimes d’abus policiers qui se sont tournées vers elle sans obtenir satisfaction.

 

Justice pour toutes les victimes.