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Des fuites policières en abondance et des accusations qui brillent par leur absence

02.11.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 16 septembre 2025 : https://pivot.quebec/2025/09/16/des-fuites-policieres-en-abondance-et-des-accusations-qui-brillent-par-leur-absence/

 

Des fuites policières en abondance et des accusations qui brillent par leur absence

 
Les coulages de l’UPAC coûtent une fortune en enquêtes et litiges devant les tribunaux.
 
Par Alexandre Popovic

Il y a presque sept ans, le gouvernement québécois ordonnait au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) d’enquêter sur les fuites d’informations de l’Unité permanente anticorruption (UPAC) ainsi que sur la conduite du Projet A, soit l’enquête de l’UPAC sur les fuites de l’UPAC.

Nom de l’enquête du BEI : projet Serment. Comme dans serment de discrétion. Vous savez, ce serment que doit prêter chaque nouveau ou nouvelle flic devant son chef de police, en promettant de ne pas révéler « quoi que ce soit » de ce qu’il apprendra au boulot « sans y être dûment autorisé ».

Durant son enquête, le BEI a repéré 54 publications médiatiques révélant des informations sensées être confidentielles qui ont coulé de huit dossiers d’enquêtes différents de l’UPAC.

On dit « fuite », mais il faudrait peut-être plutôt parler de « geyser » tellement l’information a coulé à flots à l’UPAC. Assez pour en faire un bouquin : PLQ inc. : comment la police s’est butée au parti de Jean Charest, publié par l’empire Québecor en 2019. Le Projet A, l’enquête de l’UPAC sur les fuites, a lui-même donné lieu à une fuite!

L’enquête du BEI a aussi permis d’attribuer la responsabilité de 19 fuites à certain·es responsables de l’UPAC, incluant l’ex-commissaire de l’organisme, Robert Lafrenière, soupçonné d’en avoir fait six à lui seul.

On dit « fuite », mais il faudrait peut-être plutôt parler de « geyser ».

Le projet Serment s’est étiré sur cinq ans et demi, mobilisant jusqu’à huit enquêteur·trices simultanément et coûtant onze millions $. C’est la plus grosse affaire de toute la petite histoire du BEI.

Le rapport d’enquête du BEI a été analysé par « cinq procureur·es de grande expérience », réuni·es par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) dans un « comité spécial ».

Le 28 août dernier, le DPCP annonce que le projet Serment n’aboutit à aucune accusation. La montagne a accouché d’un pet de souris. Prout!

Poursuites civiles en cascade

Si les briseurs de serment s’en sortent indemnes, les fuites policières n’ont pas été sans conséquences pour autant.

Outre la mobilisation de plusieurs enquêteur·trices et procureur·es grassement payé·es avec la facture salée qui vient avec, elles ont contribué à l’acquittement des ex-ministres du PLQ Nathalie Normandeau et Marc-Yvan Côté dans un procès pour corruption, les fuites policières ayant alimenté les délais déraisonnables à l’origine de l’arrêt des procédures prononcé par la Cour du Québec en 2020.

Jean Charest a lui-même été dédommagé à hauteur de 385 000 $, en 2023, pour des atteintes à ce qui lui reste de réputation, causées par des fuites survenues lors de la fameuse enquête Mâchurer de l’UPAC sur le financement douteux du Parti libéral du Québec lorsqu’il en était le patron. Faute d’avoir pu faire inculper l’ineffaçable frisé, certain·es flics ont semble-t-il voulu faire son procès devant le tribunal de l’opinion publique.

Les coulages de l’UPAC coûtent une fortune.

Méchante ironie de la vie, pareil, que de voir cet ex-premier ministre qui s’était tant appuyé sur la répression policière pour mater le mouvement des carrés rouges, au printemps 2012, devenir lui-même victime d’abus policier, mordu jusqu’au sang par la bête féroce qu’il a si bien nourri durant ses neuf années au pouvoir.

Un autre qui devait penser que ça n’arrive qu’aux autres!

Stéphane Bonhomme et Richard Despatie, deux ex-flics de l’UPAC arrêtés à tort lors du Projet A, ont quant à eux intenté une poursuite civile de 2,6 millions $, laquelle a été réglée hors cour. La poursuite de 550 000 $ de Guy Ouellette, ex-flic de la Sûreté du Québec et ex-député libéral, lui aussi arrêté injustement durant le Projet A, est toujours en cours, de même que celle de 9,2 millions $ d’André Boulanger et Caroline Grenier-Lafontaine, deux ex-enquêteur·trices de l’UPAC.

Ce beau gâchis n’a pas fini d’enrichir les avocat·es.

Ça coule de partout

Vous vous rappelez du vol massif de données personnelles chez Desjardins, en 2019?

Eh bien, les six accusé·es dans cette affaire demandent maintenant l’arrêt des procédures en reprochant à la police des fuites « systémiques et massives » dans les médias aux fins d’« influencer les témoins [et] contaminer l’opinion publique », compromettant ainsi, selon eux et elle, « leur droit à un procès équitable ». À suivre!

Dans sa poursuite civile de deux millions $ récemment intentée contre la Ville de Montréal, Jean Pascal, ex-champion mondial des mi-lourds de la WBC, déplore notamment que les flics aient ébruité dans les médias son arrestation pour refus de passer un alcootest, en 2022, accusation pour laquelle il a depuis été acquitté. Autre affaire à suivre.

L’appareil policier accumule une quantité monumentale d’informations à ne plus savoir quoi en faire.

J’ai moi-même ma propre petite histoire de fuite policière, de l’époque où j’étais membre du Collectif opposé à la brutalité policière (COBP). Le 12 avril 2000, un article de La Presse m’apprend qu’un type – que je ne connaissais pas et que personne d’autre ne connaissait dans le collectif – « milite » supposément dans le COBP et vient d’être arrêté pour avoir menacé de faire sauter un poste de police… Grave!

Le lieutenant-détective Michel Bonneville, le flic du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) à l’origine de la fausse information coulée dans La Presse, s’est donc mérité une plainte en déontologie policière. Le Tribunal administratif de déontologie policière a conclu que Bonneville avait manqué à son serment de discrétion, et lui a imposé un simple « avertissement » en guise de « sanction ».

Une vraie petite « sentence bonbon », comme dirait ceuzes qui rêvent de tribunaux plus sévères.

***

Si l’information c’est le pouvoir, alors la police en a beaucoup, beaucoup trop de pouvoir. Car l’appareil policier accumule une quantité monumentale d’informations à ne plus savoir quoi en faire.

Il arrive aussi que la police garoche quelques miettes d’informations à des journalistes qui ne demandent rien de mieux que de se faire remplir. Comme une couche absorbante, les médias mainstream se nourrissent bien naturellement de ces fuites de flics incontinent·es incapables de se retenir.

Et avec un système d’accès à l’information aussi verrouillé que le nôtre, il faut dire que les fuites qui servent l’intérêt collectif sont plus que bienvenues.

L’ennui avec les fuites policières, c’est que ce sont encore et toujours les flics qui conservent le plein contrôle du robinet d’information.

Justice pour toutes les victimes.