Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 26 mai 2025 : https://pivot.quebec/2025/05/26/erreurs-judiciaires-ou-complots-policiers/
Erreurs judiciaires ou complots policiers?
Certaines personnes sont prêtes à dire n’importe quoi pour sortir de prison. Pas Claude Paquin.
« Je préfère mourir en prison que d’admettre deux crimes que je n’ai jamais commis », a dit celui qui a été déclaré coupable, en 1983, d’un double meurtre survenu cinq ans plus tôt, à Saint-Colomban.
Paquin a été condamné à la perpétuité après avoir été dénoncé par une pointure du crime organisé montréalais. Arrêté pour narcotrafic, Bernard « Big Ben » Provençal, s’est montré prêt à trahir tout un chacun pour obtenir un rabais sur sa sentence et d’autres faveurs gracieusement fournies par la police.
En 1996, Provençal a avoué dans une déclaration déposée en cour que Paquin n’avait aucun rapport avec la tuerie de Saint-Colomban. Trop peu trop tard.
Paquin a été emprisonné pendant 18 ans, puis a passé 23 ans en libération conditionnelle sous de sévères restrictions, à cause des mensonges sous serment d’un « super-délateur ». Un record québécois en matière de condamnation injustifiée.
L’an dernier, Paquin a finalement été acquitté avec l’aide du Projet Innocence Québec, qui l’a soutenu durant douze longues années.
Et le 2 mai, Paquin a intenté une poursuite civile de 64 millions $ contre le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) – pour avoir comploté avec Provençal pour l’incriminer faussement, – la Sûreté du Québec (SQ) – initialement responsable de l’enquête sur le double meurtre, – et le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) – pour avoir dissimulé des preuves disculpatoires à son endroit.
Je lui souhaite d’avoir plus de succès que d’autres avant lui.
Le crime paye (pour les délateurs)
En 2014, Yves « Colosse » Plamondon avait intenté une poursuite civile de 35 millions $ contre le Procureur général du Québec (PGQ) et la SQ pour les 28 années qu’il a passées en prison pour trois meurtres commis dans la région de Québec dans les années 1980 dont il a toujours nié être l’auteur.
La condamnation de Plamondon reposait sur le témoignage de délateurs : André « Boule » Desbiens et Michael Blass.
Arrêté en 1985, Desbiens a rapidement accepté de donner des noms à la SQ, dont ceux de Plamondon et de Blass, un tueur à gages alors recherché pour neuf meurtres commis dans la région de Montréal – il avouera trois autres « contrats » lorsqu’il se décidera à son tour de moucharder.
Des flics sans scrupules sont heureux d’envoyer en dedans des hommes trempant dans le milieu criminel, en se contrefoutant que ce soit à tort ou à raison.
La collaboration s’est révélée payante pour Desbiens, qui a non seulement bénéficié de réductions de sentence pour les meurtres qu’il a lui-même commis, mais a même pu purger une partie de sa « peine » dans une pourvoirie avec pour seule contrainte de se rapporter périodiquement à la SQ.
Blass a lui aussi profité d’avantages pour services rendus à l’État. Grâce à la magie de la délation, les douze assassinats qu’il a commis sont devenus des « homicides involontaires ». Une décennie plus tard, il tuera un antiquaire pour quelques milliers de dollars. Un meurtre de plus.
En 1995, soit neuf ans après le procès de Plamondon, Desbiens s’est rétracté sur son lit de mort en avouant s’être parjuré. Après plusieurs démarches, Plamondon a été libéré sous caution, en 2014, en attente d’un nouveau procès. Lequel n’arrivera jamais, le DPCP renonçant à aller de l’avant.
En 2020, la Cour supérieure du Québec a rejeté la poursuite civile de Plamondon. « Le témoignage de Desbiens est corroboré par celui de Michael Blass », écrit le tribunal. Autrement dit, un délateur en corrobore un autre.
Circulez, y a rien à voir, merci bonsoir.
Parjure par-dessus parjure
La poursuite civile de 15 millions $ intentée par André Tremblay contre le PGQ a connu le même sort.
En 1984, Tremblay a été trouvé coupable d’avoir tué un ami à Montréal. La condamnation est annulée en 2010, car le délateur Gilles Dégarie a avoué s’être parjuré au procès de Tremblay après avoir reçu des promesses de faveurs de la SQ. Tremblay a perdu 18 ans de sa vie derrière les barreaux.
Certaines personnes sont prêtes à dire n’importe quoi pour sortir de prison.
Fraudeur récidiviste, Dégarie sera éventuellement trouvé coupable d’avoir enlevé, séquestré, agressé sexuellement et menacé de mort une jeune femme de son entourage.
Rejetant la poursuite civile de Tremblay en 2018, la Cour supérieure conclut que « la seule fiabilité » des versions données par Dégarie « est celle de la constance de ses contradictions, ses manigances manipulatrices et ses mensonges ».
La « fiabilité » du délateur Dégarie était suffisante pour condamner Tremblay au criminel, mais insuffisante pour condamner l’État québécois au civil.
Libérez Jolivet
Daniel Jolivet est emprisonné depuis 32 ans pour un quadruple meurtre survenu à Brossard, en 1992, qu’il jure ne pas avoir commis. Une confession l’aurait rendu admissible à une libération conditionnelle, en 2017, mais il maintient n’avoir tué personne.
En soi, ça parle beaucoup. Je lui souhaite de sortir au plus sacrant.
Le témoin-vedette au procès de Jolivet était Claude Riendeau, ex-flic de Boucherville. Après avoir quitté la police dans des circonstances obscures en 1978, Riendeau rencontre Michael Blass (eh oui, encore lui), qui devient son mentor en matière criminelle. Dans les années 1980, Riendeau « collectait » les dettes pour Blass, en plus de commettre une vingtaine de braquages avec lui. Il s’est par la suite lancé dans le trafic d’armes et de cocaïne.
Riendeau a continué à suivre les traces de Blass en devenant à son tour délateur au procès de Jolivet, en échange d’une nouvelle identité, d’un déménagement familial, d’une cure de désintox et de 25 000 $ hors taxes. Un autre vire-capot.
Jolivet est donc condamné sur « la parole d’un type très douteux ». Voilà qui en dit long sur notre système de justice.
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Jolivet, Tremblay, Plamondon, Paquin : tous des hommes trempant dans le milieu criminel. Ce qui explique peut-être pourquoi des flics sans scrupules sont heureux de les avoir envoyés en dedans pour longtemps, en se contrefoutant que ce soit à tort ou à raison.
Mais pour y arriver, flics et procureurs du DPCP ont marché dans la main avec la main avec des narcotrafiquants, des menteurs et des tueurs.
Comme dirait l’écrivaine Esmeralda Santiago : « Dis-moi avec qui tu marches et je te dirai qui tu es. »