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Grandeur et misère de la déontologie policière

02.11.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 18 août 2025 : https://pivot.quebec/2025/08/18/grandeur-et-misere-de-la-deontologie-policiere/

 

Grandeur et misère de la déontologie policière

 
L’ignorance crasse du nouveau Commissaire s’ajoute au travail bâclé de la machine à rejeter les plaintes.
 
Par Alexandre Popovic

C’est un secret pour personne : je suis un habitué des plaintes en déontologie policière. C’est ma façon de dénoncer les abus de la force constabulaire.

Mes plaintes sont plus souvent qu’autrement rejetées par le Commissaire à la déontologie policière, l’organisme chargé de traiter les plaintes alléguant un manquement au Code de déontologie des policiers du Québec.

Lorsque la plainte est jugée valable, une citation – l’équivalent d’une mise en accusation – est déposée devant le Tribunal administratif de déontologie policière (TADP), lequel a le pouvoir d’imposer une sanction au flic fautif.

Je conteste généralement le rejet de mes plaintes en demandant une révision au TADP. Et parfois, il m’arrive d’avoir gain de cause.

Par exemple, en mars dernier, le TADP a donné tort à la Commissaire à la déontologie policière de l’époque, Mélanie Hillinger, d’avoir rejeté ma plainte contre deux flics de la Sûreté du Québec (SQ) impliqués dans une poursuite policière à haute vitesse survenue à Saint-Ambroise-de-Kildare, le 28 juin 2022.

Le motif de la poursuite : une plaque d’immatriculation factice sur une voiture Subaru.

Le résultat de la poursuite : deux morts, soit Olivier Caron-Beauregard, seize ans, passager avant de la Subaru, et Félix Desrosiers-Nadeau, également âgé de seize ans, qui circulait sur une moto entrée en collision avec le véhicule poursuivi.

« La Commissaire », écrit le TADP au sujet du rejet initial de ma plainte, « a occulté des éléments déterminants de l’enquête qui soutenaient une probabilité raisonnable de faire reconnaître un manquement déontologique. La conduite de la Subaru qu’elle qualifie de danger pour le public est similaire à celle adoptée par l’agent Lavigne Sauvé pour la rattraper. »

Ainsi, non seulement le TADP a ordonné à la Commissaire de citer l’agent Jean-François Lavigne Sauvé pour ne pas avoir utilisé son auto-patrouille avec prudence et discernement, mais en plus, il l’a enjointe de poursuivre son enquête concernant l’agent David McDuff, le partenaire du policier conducteur.

Une job de cochon

Puis, en mai dernier, le TADP conclut que cette même Commissaire a bâclé son travail en rejetant ma plainte contre des membres de la SQ en lien avec un événement lors duquel un homme a perdu conscience durant son arrestation musclée sur l’autoroute 20, à la hauteur de Saint-Cyrille-de-Wendover, le 16 juillet 2020.

« Le Tribunal constate que certains comportements de l’agent Poliquin, susceptibles de constituer des manquements au Code de déontologie des policiers du Québec, n’ont pas été soulevés ni analysés par la Commissaire dans sa décision de rejeter la plainte », écrit le TADP.

Je suis un habitué des plaintes en déontologie policière. C’est ma façon de dénoncer les abus de la force constabulaire.

Une vidéo de l’événement révèle que l’agent Poliquin n’a jamais répondu à la demande répétée de la victime de s’identifier par son nom et son matricule ni ne l’a informée de son droit au silence avant de l’interroger sur sa consommation.

Mais la Commissaire n’a, semble-t-il, rien vu ni entendu.

Le TADP a donc ordonné à la Commissaire de citer l’agent Poliquin pour ces manquements.

Mais ce n’est pas tout. Ma plainte dénonçait aussi le fait que la SQ a attendu quatre longues journées avant de signaler l’événement au Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), alors que la Loi sur la police prévoit que l’information doit être transmise « sans délai ».

Or, le TADP constate que l’enquête déontologique « est incomplète à l’égard de ce reproche » et a donc ordonné à la Commissaire de la poursuivre.

Un ignare à la barre

Le 23 avril 2025, le gouvernement caquiste a nommé Michel Desgroseilliers au poste de Commissaire à la déontologie policière pour un mandat de cinq ans.

Desgroseilliers travaille au bureau du Commissaire depuis dix ans. D’abord comme avocat, avant d’être nommé directeur des services juridiques de l’organisme en 2020.

Sur le site web du Commissaire, il est prétendu que Desgroseilliers a acquis « une connaissance approfondie de la déontologie policière ». Je n’en crois rien.

Mon scepticisme s’appuie sur une décision rendue par le TADP, le mois dernier, dans laquelle le tribunal ne se contente pas d’accueillir ma demande de révision concernant une de mes plaintes, mais offre aussi une leçon de droit déontologique au nouveau Commissaire, qui semble en avoir cruellement besoin.

Si la révision représente la grandeur du système déontologique, il ne restera bientôt plus grand-chose d’autre que de la grosse misère pour les tiers.

L’événement à l’origine de ma plainte est une intervention de la SQ lors de laquelle l’agent Anthony Leroux a abattu Jonathan Verville, 26 ans, à Sainte-Clotilde-de-Horton, le 7 novembre 2023.

En rejetant ma plainte, le Commissaire Desgroseilliers écrit que l’agent Leroux n’a commis aucun manquement déontologique. Or, c’est plutôt au TADP qu’il revient de déterminer si la conduite policière est fautive ou non.

Comme le rappelle le TADP, le rôle du Commissaire se limite à s’assurer qu’il existe suffisamment de preuve pour citer le policier à comparaître. C’est « l’unique point qu’il doit trancher. [Le Commissaire Desgroseillers] se méprend sur la question qu’il doit résoudre, commettant ainsi une erreur de droit », tranche le TADP.

Mais le pire n’est même pas là.

Comme l’explique le TADP, « monsieur Verville est penché vers le plancher du côté passager lorsque les coups de feu sont tirés », alors qu’il est à bord d’un véhicule qui « est enlisé dans le fossé sans possibilité réelle de le remonter ». Il ne représente donc aucune menace.

Malgré cette grossière évidence, Desgroseilliers évacue « totalement de son analyse les éléments de preuve qui contredisent la version de l’agent Leroux », tout « en refusant d’analyser sérieusement les options à la portée de l’agent Leroux avant de faire feu sur le conducteur ».

Pour le TADP, ce sont là autant d’erreurs de droit. Le TADP ordonne donc au Commissaire de citer l’agent Leroux.

***

Si j’ai pu aller en révision dans ces trois dossiers, c’est parce que je bénéficiais du statut de plaignant auprès du Commissaire. Mais en 2023, le gouvernement caquiste a modifié la loi de sorte que les tiers comme moi perdent le statut de plaignant, ce qui entraine aussi l’élimination du droit d’exercer un recours en révision devant le TADP.

Car désormais, les tiers peuvent seulement faire un « signalement » au Commissaire. Le droit de déposer une véritable plainte est désormais réservé aux victimes et aux témoins. Et la procédure de signalement exclut toute possibilité de contester la décision du Commissaire devant le TADP.

C’est donc un Commissaire cancre en droit qui aura le dernier mot sur tout signalement.

Si la révision représente la grandeur du système déontologique, il ne restera bientôt plus grand-chose d’autre que de la grosse misère pour les tiers.

Justice pour toutes les victimes.