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Interpellations, piège à cons

30.09.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 9 juin 2025 : https://pivot.quebec/2025/06/09/interpellations-piege-a-cons/

 

Interpellations, piège à cons

 
Face à la nouvelle politique du SPVM sur les interpellations, l’administration Plante se fait encore leurrer par le discours policier.
 
Par Alexandre Popovic
 

Luc Ferrandez flotte sur un nuage.

L’ex-élu de Projet Montréal est comblé de savoir que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) va continuer à faire des interpellations.

Attention : une interpellation n’est pas une arrestation. Pour être légale, une arrestation nécessite la présence, dans la tête du flic, de motifs raisonnables et probables de croire à la commission d’une infraction.

Nul besoin de ça pour une interpellation. Car les interpellations policières ne sont encadrées par aucune loi ni règle de droit. Les interpellations sont surtout des parties de pêche. Un flic voit un type en compagnie d’un mec « connu de la police » et il ne lui en faut souvent pas plus pour lui donner envie de contrôler son identité, lui poser toutes sortes de questions pour amasser des renseignements à son sujet et, au final, le ficher.

Je le sais pour l’avoir moi-même vécu.

Ferrandez est sans doute convaincu que ça n’arrive qu’aux autres. Après tout, l’animateur vedette ne fréquente que des gens fréquentables. Comme sa collègue au micro, Nathalie Normandeau, cette ex-vice-première ministre du Québec, naguère visée par des accusations criminelles passibles d’un maximum de 20 années d’emprisonnement, avant de s’en sortir grâce à des délais déraisonnables.

Les communautés souffrant de sur-interpellation policière, ce sont celles où l’on trouve des gens racisés, ce qui n’est pas le cas de Ferrandez. Un premier rapport de recherche indépendante sur les interpellations révélait, en 2019, que les personnes noires, autochtones et arabes sont ciblées de façon disproportionnée par le SPVM.

Le SPVM est arrivé, il y a deux semaines, avec une nouvelle version de sa politique sur les interpellations.

Ferrandez répète docilement le discours policier sur les interpellations. Il croit que les interpellations permettent de « diminuer la violence armée », sans citer un seul cas.

Peut-être n’a-t-il pas lu le second rapport indépendant sur les interpellations du SPVM, publié en 2023. Il y apprendrait que des flics, souvent jeunes et zélés, multiplient les interpellations pour faire avancer leur propre carrière. Aucun rapport avec la prévention du crime et la sécurité publique.

De l’aveu même de flics interviewés, les interpellations sont loin d’être indispensables. « La police a d’autres moyens que les interpellations pour produire du renseignement criminel (les informateurs notamment) », lit-on.

Un ti peu de lecture ne te ferait pas de tort, mon Luc.

Rien d’autre qu’un moratoire

Le SPVM s’est donné une première politique sur les interpellations en 2020, dans le contexte où le mouvement d’indignation déclenché par l’assassinat de George Floyd, à Minneapolis, avait gagné Montréal.

Sentant la soupe chaude, le SPVM était alors venu nous dire que les interpellations devraient désormais s’appuyer sur des « faits observables » (et non sur des infractions).

Le SPVM voulait donner l’impression qu’il est capable de se « réformer » lui-même, question de tenir à distance le pouvoir civil. Effacée, l’administration de la mairesse Valérie Plante s’est contentée de qualifier la politique policière de « souhaitable ».

Le SPVM fait des pas timides, mais son objectif demeure le même : garder le contrôle de la danse.

Entretemps, le gouvernement néo-écossais faisait preuve d’initiative après la publication d’un rapport indépendant démontrant que les personnes noires sont neuf fois plus susceptibles d’être interpellées que le reste de la population. Le ministre provincial de la Justice – lui-même un ex-flic de la GRC – avait alors ordonné à la police de cesser d’utiliser « les contrôles de rue dans le cadre d’un système de quotas ou d’un outil de mesure des performances ». Un avis juridique indépendant conclura ensuite au caractère illégal des interpellations.

Le second rapport sur les interpellations du SPVM contient une seule et unique recommandation, soit « le moratoire de toute interpellation policière qui ne soit pas justifiée par l’enquête d’un crime spécifique ou par le soupçon raisonnable d’une activité illégale ».

Que fait le SPVM?

Il arrive, il y a deux semaines, avec une nouvelle version de sa politique sur les interpellations. Les flics devront désormais informer les personnes interpellées qu’elles sont libres de partir. Ce qui vient confirmer l’absence de pouvoir coercitif policier en matière d’interpellation.

Le SPVM fait des pas timides, mais son objectif demeure le même : garder le contrôle de la danse.

Et pour toute réponse, l’administration Plante applaudit mécaniquement comme un robot Duracell.

Pas de preuve, pas de coupable

J’étais présent à la séance de la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal, tenue le 28 mai dernier dans l’hôtel de ville rénové pour 211 millions $ par l’administration Plante, pour discuter de « l’actualisation » de la politique d’interpellation du SPVM.

J’ai écouté Fady Dagher, grand patron du SPVM, vanter ses réalisations en matière de lutte au profilage racial. Il a cependant omis de mentionner qu’il a flirté avec un outrage au tribunal à l’époque où il dirigeait la police de Longueuil. Dagher avait alors retardé l’application d’ordonnances rendues par le Tribunal des droits de la personne dans un dossier de profilage racial.

J’ai ensuite écouté Vincent Richer, directeur adjoint au SPVM, annoncer que les indicateurs documentant les disparités raciales dans les interpellations ne seront pas publiés, « parce qu’on ne les a pas calculés ». Tiens, donc.

Pas de preuve statistique de discrimination raciale, alors pas de coupable. Comme c’est commode…

La police est une bête dangereuse qui doit être maintenue en laisse par le pouvoir civil.

J’ai aussi écouté l’inspecteur François Harrisson-Gaudreau déclarer que les flics ne vont pas expliquer aux personnes interpellées quelle utilisation sera faite de leurs renseignements personnels. « Y a pas d’obligation légale pour les policiers en ce sens-là », se justifie-t-il.

À cela je réponds : y a pas de consentement libre et éclairé à fournir ses renseignements personnels aux flics quand on ne sait même pas dans quelles banques de données policières l’info sera colligée.

« C’est fascinant de voir comment il n’y a aucune levée de boucliers », s’est réjoui Dagher en parlant de la réaction à l’interne du SPVM à la nouvelle politique d’interpellation.

Tu m’étonnes…

***

La police est une bête dangereuse qui doit être maintenue en laisse par le pouvoir civil.

Avec une laisse courte, car avoir une laisse trop longue, c’est comme ne pas avoir de laisse.

Et avec une muselière, car c’est trop facile de mordre dans la laisse pour s’en défaire.

Je le dis, car trop souvent, les interpellations sont source d’injustice et de discrimination, comme le confirme une décision de la Cour supérieure, rendue l’automne dernier, condamnant la Ville de Montréal pour profilage racial systémique – une décision que l’administration Plante a eu le culot de porter en appel.

Si les huiles de l’administration Plante sont incapables de garder le SPVM en laisse, j’ai juste un mot à leur dire : démissionnez.

 

Justice pour toutes les victimes.