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La folie des armes

23.09.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 14 avril 2025 : https://pivot.quebec/2025/04/14/la-folie-des-armes/

 

La folie des armes

Qu’est-ce qui lui prend, à cette juge administrative, de prescrire des armes à feu aux constables du contrôle routier?
 
Par Alexandre Popovic

Vous pensiez lire la décision rendue le mois dernier par le Tribunal administratif du travail (TAT) dans l’affaire Proulx et Société de l’assurance automobile du Québec?

Pas besoin. Je me suis moi-même tapé les 1070 paragraphes que compte ce volumineux jugement de 189 pages pour vous en faire un modeste résumé dans cette chronique d’à peine 1000 mots.

En gros, l’affaire oppose la Fraternité des constables du contrôle routier du Québec (FCCRQ) à son employeur, la Société de l’assurance automobile (SAAQ).

Les quelque 300 constables routiers qui appliquent une quarantaine de lois et règlements régissant l’industrie du transport de personnes et de marchandises ont le pouvoir d’intercepter, d’inspecter et de saisir tout véhicule et d’imposer des amendes salées. Leur pouvoir d’arrestation se limite toutefois aux flagrants délits.

Leur formation est dispensée à l’École nationale de police, à Nicolet, et leurs interventions sont soumises au Code de déontologie des policiers. 

L’employeur leur fournit vestes pare-balles, bâtons télescopiques et poivre de Cayenne. Mais depuis les années 1970, la FCCRQ fait pression pour obtenir des armes à feu. Comme les « vrais flics ».

Et la juge Danielle Tremblay du TAT vient de leur donner raison en concluant que la SAAQ « ne fournit pas l’armement nécessaire » aux flics de la route. Ce qui manque, selon elle, c’est une « option de force mortelle ». Donc, des armes létales.

C’est quoi l’idée?

Précisons que le litige portait sur les obligations de l’employeur concernant la prévention des risques d’agression contre les constables routiers.

Si ces constables veulent des armes à feu, leur Fraternité ne demandait cependant pas au TAT de rendre une ordonnance en ce sens. C’est plutôt la juge Tremblay qui a pris les devants.

Et ce, « même si les études ne confirment pas l’effet dissuasif de l’arme à feu en toutes circonstances », comme le reconnait le TAT. Et même si « plusieurs des experts qui se sont prononcés sur cette question […] ne la recommandent pas », lit-on aussi dans le jugement.

On ne résout pas un danger en en créant un autre.

Envers et contre tous, la juge Tremblay, elle, croit savoir ce qui va assurer la sécurité des flics de la route. Mais c’est elle qui fait fausse route. Je m’explique.

Qui parle du port d’arme à feu doit aussi parler du risque de désarmement. Depuis 2002, prendre l’arme d’un flic, ou tenter de le faire est une infraction au Code criminel. Quand le Parlement fédéral choisit de légiférer, on ne parle plus d’un phénomène marginal.

Or, le risque de désarmement brille par son absence dans le jugement pourtant prolixe du TAT.

C’est une grave erreur, car les constables routiers patrouillent souvent en solo, ce qui les rend plus vulnérables, et donc plus à risque.

Vous vous rappelez le cas de l’agent Sanjay Vig, du Service de police de la Ville de Montréal? Hé bien, il était seul lorsqu’Ali Ngarukiye a réussi à s’emparer de son arme à feu pour ensuite lui tirer dessus avec, dans Parc-Extension, en janvier 2021.

Un mort au volant

La juge Tremblay n’accorde guère d’importance au fait que les lésions soient rares pour les constables routiers, préférant plutôt insister sur les risques du métier.

Pour appuyer son propos, le jugement fait notamment un résumé de 17 incidents où les constables routiers ont fait usage de la force, entre 2016 et 2024.

Là-dessus, on compte sept cas où la personne au volant n’était même pas armée. Parmi les autres situations, il y a un cas où un conducteur a sorti un couteau pour ensuite le remettre dans sa poche, un autre où un passager a frappé l’auto-patrouille avec un bâton de baseball avant d’être retenu par le conducteur et un autre où un chauffeur agressif avait une hache dissimulée dans son sac à dos.

J’en ai assez de tous ces simili-flics qui rêvent d’arsenaux toujours plus colossaux, dispendieux et meurtriers

Dans les cinq autres cas, c’est le véhicule lui-même qui a été utilisé comme arme contre les constables routiers.

Est-ce que la juge Tremblay croit que l’arme à feu est le remède approprié à ce type d’agression? Supposons un instant que le constable routier fait feu et tue le conducteur. On fait comment, alors, pour arrêter le véhicule?

Si le Guide de pratiques policières du ministère de la Sécurité publique interdit l’usage du pistolet Taser « sur des personnes en contrôle d’un véhicule en mouvement », c’est pour une bonne raison : éviter la perte de contrôle du véhicule.

On ne résout pas un danger en en créant un autre.

Et dire que l’Alliance de la fonction publique du Canada – Région Québec (AFPC-Québec) a « salué » cette décision débile du TAT, allant même jusqu’à écrire au premier ministre François Legault pour lui dire que c’est donc bien une bonne idée de fournir des armes létales aux constables routiers.

Ça s’arrête où?

Si les armes à feu sont bonnes pour les constables routiers, alors pourquoi pas pour d’autres professions qui sont confrontées elles aussi à des situations périlleuses au travail?

Pourquoi pas pour les profs? Le personnel infirmier? Les chauffeurs de taxi? La caissière au dépanneur? L’agent de sécurité du centre d’achat le plus proche de chez vous?

Sans oublier tous les autres flics manqués, comme les constables spéciaux de la Société de transport de Montréal (STM)?

Tiens, justement, ces constables-là en veulent eux aussi des armes capables de tuer leur prochain. « L’acquisition d’une arme de poing et d’une arme à impulsion électrique est plus qu’une nécessité », d’affirmer l’ex-flic Mario Berniqué, dans un rapport mandaté par la Fraternité des constables et agents de la paix de la STM–CSN.

Les vestes pare-balles, menottes, bâtons télescopiques et poivre de cayenne, c’est pas assez pour eux.

Hé bien, moi j’en ai assez de tous ces simili-flics qui rêvent d’arsenaux toujours plus colossaux, dispendieux et meurtriers. J’en ai ma claque de toute cette escalade des moyens de violence étatique qui se déploie au nom de notre propre sécurité.

Justice pour toutes les victimes.