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La vitesse policière tue elle aussi

14.09.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 18 novembre 2024 : https://pivot.quebec/2024/11/18/la-vitesse-policiere-tue-elle-aussi/

 

La vitesse policière tue elle aussi

Contre les poursuites policières à haute vitesse et à haut risque

Par Alexandre Popovic

J’ai deux scoops pour vous.

Le premier, c’est que les agents Sébastien Lambert, Jonathan Vaillancourt et David Michaud, du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), ainsi que les agents Serge Bouchard et Jean-Michel Perron et le sergent Jean-Maurice Caissy, de la Sûreté du Québec (SQ), vont tous subir un procès devant le Tribunal administratif de déontologie policière.

La Commissaire à la déontologie policière reproche à ces six flics d’avoir maintenu leur participation à une poursuite policière à haute vitesse survenue en plein jour dans les rues de Montréal, le 17 novembre 2018. Les trois agents cités du SPVM doivent aussi répondre de leur refus d’obéir à l’ordre d’un supérieur de cesser cette poursuite qui s’est terminée brutalement sur la rue Sherbrooke Est.

Une des auto-patrouilles du SPVM a ainsi happé une femme qui déneigeait son entrée. Projetée dans les airs par l’impact, celle qui est infirmière de profession a subi un traumatisme crânien, des perforations aux deux poumons, en plus de fractures au bassin, aux tibias, à la cuisse droite, à la cheville et au bras gauche.

Quand un·e automobiliste roule en malade, son véhicule devient une arme mortelle pour quiconque aura le malheur de croiser sa route.

Tout ça pour intercepter un automobiliste recherché pour ne pas avoir payé un ticket de moins de 200 $ et qui a refusé s’immobiliser à la sortie du pont Jacques-Cartier à la demande de la SQ.

Arrêté après avoir embouti un lampadaire, le fuyard a ensuite été déclaré coupable de conduite dangereuse et condamné à seize mois d’emprisonnement.

Fait à souligner, l’automobiliste récalcitrant a été acquitté d’avoir causé des lésions corporelles. « Si l’ordre de cesser la poursuite avait été respecté, il n’y aurait pas eu de collision ni de blessures », écrit la Cour supérieure.

Deux morts pour un char volé

Mon deuxième scoop, c’est que la Commissaire à la déontologie policière a décidé de citer à comparaître les constables Samuel Delisle et Samuel Thériault, du Service de police de la Ville de Saint-Jérôme, pour leur implication dans une poursuite à haute vitesse, celle-là déclenchée sur l’autoroute 15, le 17 avril 2022.

Motif de la poursuite : intercepter un véhicule Lotus Esprit signalé volé.

Dans ce cas-ci, l’événement a connu une fin doublement tragique. La Lotus Esprit est entrée en collision avec une Nissan Altima immobilisée aux feux de circulation, à l’intersection de la route 158 et de la montée Guénette, à Mirabel. Les deux véhicules ont ensuite pris feu.

Tommy Hébert-Heimerl, 22 ans, le conducteur de la Lotus, est décédé avant le déclenchement de l’incendie.

Charles Giroux-Massie, 30 ans, passager arrière de la Nissan, est décédé d’une intoxication au monoxyde de carbone induite par une inhalation de fumée générée par l’incendie du véhicule.

Depuis 2000, pas moins de 120 personnes sont décédées au Québec dans le contexte d’une poursuite policière à haute vitesse.

Deux hommes qui meurent pour une histoire de char volé.

Dans son rapport d’investigation, la coroner Julie A. Blondin a refusé de se prononcer sur la conduite des deux flics, mais n’a pas hésité à parler de témérité dans le cas du défunt conducteur de la Lotus.

Or, sans la poursuite policière, il n’y aurait eu aucun décès.

Impunité au volant

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a refusé de porter des accusations contre les flics impliqués, et ce, tant dans le cas de la poursuite à Montréal que dans celle survenue à Mirabel. Pas de surprise ici : avec le DPCP, les flics sont rarement responsables de quoi que ce soit.

Dans les deux cas, c’est moi qui ai porté plainte en déontologie policière – d’où mes deux petits scoops.

Car, dans les deux cas, on est loin de la « philosophie d’intervention » encadrant les poursuites à haute vitesse énoncée dans le Guide de pratiques policières, un document du ministère de la Sécurité publique produit à l’intention des chef·fes de police québécois·es.

La vitesse tue, peu importe si celui ou celle derrière le volant porte l’uniforme ou non.

« Une poursuite automobile ne doit être engagée et continuée que si le danger et les risques immédiats de la poursuite pour le policier, le public ou le suspect sont moindres que le danger et les risques immédiats de laisser le suspect s’enfuir. Étant un événement à haut risque, une poursuite policière est une solution de dernier recours qui ne peut être engagée ou continuée que lorsque des circonstances exceptionnelles l’exigent », lit-on.

On peut penser par exemple à un véhicule transportant une personne prise en otage. De toute évidence, un refus de s’immobiliser ou un vol de voiture ne justifient pas une réponse aussi extrême qu’une poursuite à grande vitesse avec tous les risques que cela comporte.

Ces poursuites rapides et dangereuses suscitent toutefois peu de débats publics.

Pourtant, depuis le début du millénaire, pas moins de 120 personnes sont décédées au Québec lors d’un accident de la route survenu dans le contexte d’une poursuite policière à haute vitesse. À ce lourd bilan s’ajoutent ceuzes qui survivent à de graves blessures.

Quand la police multiplie les risques

Pour qui se prennent ces flics en manque d’adrénaline qui roulent à tombeau ouvert sur nos routes, souvent en réaction à des infractions plutôt bégnines? Ils ne sont pas mieux que les chauffard·es que ces flics speedés prétendent combattre.

Quand un flic au volant appuie sur le champignon pour coincer un·e automobiliste en fuite, ce sont maintenant deux véhicules qui outrepassent les limites de vitesse. La poursuite policière vient alors de multiplier les risques par deux.  

Car quand un·e automobiliste roule en malade, son véhicule devient une arme mortelle pour quiconque aura le malheur de croiser sa route.

La vitesse tue, peu importe si celui ou celle derrière le volant porte l’uniforme ou non.

Il est donc plus que temps de mettre fin une fois pour toutes à ces tueries qui se répètent plusieurs fois par année sur les routes québécoises aux termes de poursuites à haute vitesse déclenchées pour des motifs qui contreviennent trop souvent aux critères du Guide de pratiques policières.

Évidemment, pour les apologistes de la police, renoncer à poursuivre, c’est laisser gagner les hors-la-loi de la route. Mais qui gagne, au juste, quand une personne à qui la police n’avait rien à reprocher meurt horriblement sur une banquette arrière ou est violemment percutée sur le trottoir, simplement pour avoir été au mauvais endroit, au mauvais moment?

À tous les flics qui veulent jouer les cow-boys sur les routes, je dis ceci : prenez donc un cheval au lieu de votre auto-patrouille. Vous pilerez peut-être sur votre orgueil, mais au moins, personne n’échouera aux soins intensifs ou, pire encore, au cimetière.

 

 

 

 

 

Justice pour toutes les victimes.