L'affaire Germinal : L'ART D'INFILTRER UN GROUPE MILITANT

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[L’article ci-dessous est une version abrégée d’un texte plus substantiel. Pour télécharger le dossier complet sur l’affaire Germinal, cliquez ici »» ]

 

Il y a dix ans, les 7 de Germinal subissaient leur procès au Palais de justice de Québec. Ils avaient été inculpés d’avoir comploté pour commettre un méfait causant un danger réel pour la vie des gens, une accusation passible de l’emprisonnement à perpétuité.

Germinal, c’est le nom d’un groupe militant formé en vue du Sommet des Amériques, qui a réunit 34 chefs d’État à Québec, en avril 2001. Le groupe s’était donné pour projet de manifester son opposition en s’attaquant à la clôture de quatre kilomètres de long ceinturant le périmètre de sécurité du Sommet des Amériques.

C’est un informateur qui a révélé à la police l’existence de Germinal. Les gens de Germinal ont alors commencés à faire l’objet de filature, puis de surveillance électronique. Ainsi, les policiers ont obtenu des mandats les autorisant à enregistrer les numéros des appels téléphoniques effectués par cinq membres de Germinal.

Un document signé par l’agent Vincent Santori de la SQ permet de mieux cerner l’intérêt particulier que portait la police envers Germinal. «Ce qui démarque le groupe Germinal des autres groupes de manifestants déjà connus est l’utilisation d’ex-militaires et militaires toujours avec les Forces armées canadiennes», peut-on lire. L’armée a d’ailleurs collaborée à l’enquête policière.

En février 2001, les policiers ont conçu un scénario pour infiltrer Germinal. Les policiers savaient qu’un des membres, Jean-François Dufresne, se cherchait un travail. «Une offre d’emploi alléchante sera une première tentative pour approcher le sujet principal», écrit Santori.

Les enquêteurs ont donc mit sur pied une compagnie fictive dont l’objet consistait à conduire des véhicules de Québec à Montréal, et vice-versa. Chaque voyage était rémunéré 75$. Des affiches ont été posées autour de l’appartement de Jean-François. Ce dernier fut d’ailleurs le premier à postuler à l’emploi.

Jean-François a aussitôt été engagé par André Viel, gendarme à la GRC depuis 1991. Éventuellement, Alex Boissonneault, un autre membre de Germinal, a aussi été embauché. Après quelques temps, le gendarme Viel a introduit un nouvel «employé»: Nicolas Tremblay, membre de la GRC depuis 1997.

Jean-François et Alex ont effectués au total quinze voyages, ce qui impliquait des dizaines d’heures de conversation avec les deux agents d’infiltration. Car, quand on «fait de la route», les conversations deviennent évidemment un moyen efficace de tuer le temps.

La stratégie d’infiltration pouvait se résumer ainsi: d’abord, commencer en douceur avec un lien employeur-employé; ensuite, fabriquer de toutes pièces une relation d’amitié bidon; enfin, développer le lien de camaraderie qui unit les militants luttant contre un adversaire commun.

Afin de rencontrer d’autres membres de Germinal, le gendarme Viel a raconté que sa  sœur avait gagné un certificat-cadeau permettant à dix personnes d’aller jouer au paintball. «Compte tenu que c’est des ex-militaires, certains, alors on a fait le scénario qu’ils jouaient au paintball», a expliqué Santori. Prétextant n’avoir aucun contact à Montréal, l’agent d’infiltration a donc demandé à Alex de «trouver des gens».

Ne se doutant de rien, les gens de Germinal ont commencés à fréquenter les deux gendarmes. Ils sont allés boire de la bière avec eux dans des bars montréalais (Le Grimoir, pub Faubourg, pub Ste-Elizabeth, St-Sulpice). L’alcool n’est-il pas une méthode éprouvée pour délier les langues?

Alex et Jean-François ont vite réalisés que leurs «nouveaux copains» débordaient de ressources. «Nic» disait être sur le point de démarrer une compagnie de traiteur, tandis que son collègue Viel faisait savoir qu’il avait accès à un camion cube. Voilà qui tombait drôlement bien puisque les gens de Germinal avaient à la fois besoin de repas prêts à manger et de moyens de transport spacieux pour la tenue d’un camp de formation en vue du Sommet des Amériques!

«Je peux témoigner qu’il n’y avait pas beaucoup de ressources matérielles, effectivement, et surtout monétaires», a reconnu le gendarme Tremblay. «C’était moins que je le croyais au début.»

Durant un voyage, Alex a demandé au gendarme Tremblay ce qu’il pensait du Sommet des Amériques. «Nic» s’est alors empressé de sortir de son sac à dos un gilet portant l’inscription «Fuck le Sommet». «C’est ça que je pense du Sommet!», a-t-il lancé. Avant la fin du trajet, le gendarme avait été invité à se joindre à Germinal.

Or, les deux agents d’infiltration ont été admis dans un contexte où l’existence de Germinal a été remise en question après que le camp de formation eut été annulé, faute de participants.

L’arrivée des deux nouveaux membres a toutefois apporté un nouveau souffle à Germinal. Le gendarme Tremblay s’est impliqué avec enthousiasme. Il s’est joint à deux sous-comités (stratégie et logistique). Il a même proposé d’adopter «une défensive de style Cowboys de Dallas» en prévision des affrontements avec la police, à Québec.

Lors d’une réunion, «Nic» est débarqué avec un gallon de vin, «pour faire un cadeau, se faire aimer» des gens de Germinal. L’agent d’infiltration avait si bien campé son personnage de faux-militant qu’il s’est vu confier une «section» de Germinal, de sorte qu’il aurait désormais huit personnes sous sa responsabilité. Il a même présidé la dernière réunion de Germinal avant les arrestations.

Les policiers avaient la situation bien en main. Ils ont opportunément attendu deux jours avant l’ouverture du Sommet des Amériques pour procéder à l’arrestation de sept membres de Germinal.

Devant les médias, les policiers ont fièrement exhibé l’équipement saisi, un «butin» qui incluait des boucliers artisanaux fabriqués avec du matériel acheté par les deux agents d’infiltration!

C’est ainsi que l’arrestation des 7 de Germinal a été instrumentalisée pour légitimer les mesures de sécurité à la fois dispendieuses et draconiennes entourant le Sommet des Amériques.

Dépeignant le groupe comme étant un «mouvement de révolutionnaires», le juge Yvon Mercier a refusé de remettre en liberté cinq membres de Germinal. Ceux-ci ont été détenus pendant 41 jours avant d’être libérés par un autre juge sous de sévères conditions.

Trouvés coupables en mai 2002, les 7 de Germinal ont été condamnés à des peines avec sursis, assorties de travaux communautaires.