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Les personnes en crise ont bien plus besoin de soins que de flics

11.11.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 27 octobre 2025 : https://pivot.quebec/2025/10/27/les-personnes-en-crise-ont-bien-plus-besoin-de-soins-que-de-flics/

 

Les personnes en crise ont bien plus besoin de soins que de flics

 
La réforme annoncée de la loi P-38 va exacerber une absurdité qui n’aurait jamais eu lieu d’être.
 
Par Alexandre Popovic

Les flics ont déjà le pouvoir de tuer, et ce, en toute impunité.

Le pouvoir d’espionner nos vies et de pénétrer chez autrui, avec ou sans mandat, selon « l’urgence » de la situation – « l’urgence d’agir » étant bien sûr définie par la police elle-même.

Les flics ont le pouvoir de nous priver de notre liberté et de nous enfermer entre quatre murs. Même pas besoin d’avoir commis une infraction : les flics peuvent nous trainer de force à l’hôpital lorsqu’ils jugent que notre état mental représente un « danger grave et immédiat ».

Ce pouvoir policier est une gracieuseté de la fameuse Loi sur la protection des personnes dont l’état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, surnommée P-38.

Vous croyez que c’est suffisant pour la police? Erreur. Telle une personne esclave d’une dépendance, la police en veut toujours plus. Toujours plus de pouvoir pour elle, toujours moins de droits et libertés pour nous.

Les flics peuvent nous trainer de force à l’hôpital lorsqu’ils jugent que notre état mental représente un « danger grave et immédiat ».

Dans un texte publié dans La Presse le 7 octobre dernier, Dominic Roberge, président de la puissante Association des policières et policiers provinciaux du Québec (APPQ), en rajoute une couche en soulignant que son groupe de pression exige « depuis longtemps » que le gouvernement procède à « une révision en profondeur » de la loi P-38.

Jugeant que « les critères actuels de dangerosité sont trop rigides », l’APPQ veut plus de « latitude » de façon à pouvoir intervenir « lorsqu’il existe des “motifs raisonnables et probables” de croire qu’une personne se comporte de manière violente ou désordonnée et qu’elle pourrait se nuire ou nuire à autrui ».

Donc, plus besoin de poser un « danger grave immédiat », une simple nuisance suffira pour avoir les flics sur le dos.

« Une éventuelle réforme de la loi P-38 doit s’accompagner d’un mécanisme obligatoire et robuste de partage d’information entre les policiers, les soignants, les proches et les intervenants communautaires », souhaite aussi l’APPQ.

Ce qui revient à contraindre une plus grande partie de la population à devenir des snitchs.

Mais l’APPQ a sorti le bélier pour défoncer une porte ouverte. Une semaine plus tôt, François « Wannabe Rocky » Legault exauçait ses vœux en promettant « d’amender la loi P-38 » lors d’un discours empestant la testostérone destiné à reconquérir les sondages.

Le danger grave et immédiat, c’est aussi la police

Il existe pourtant une foule de raisons pour donner au contraire moins de place à la police lors d’interventions de crise.

D’abord, les flics ne sont pas des professionnels en santé mentale. Certains flics se sentent même « déportés de leur mission » lorsqu’ils doivent continuellement intervenir auprès de personnes en crise. À l’évidence, les flics ne deviennent pas flics pour faire du travail social.

C’est pourquoi le niveau de formation policière en matière d’intervention de crise laisse depuis toujours à désirer.

Prenez la Sûreté du Québec (SQ), le corps policier qui emploie les membres de l’APPQ. En 2020, la SQ a lancé la formation « Réponse à un état mental perturbé » (REMP) pour avoir l’air de répondre à plusieurs recommandations de coroner. Durée : seulement deux petites journées.

Quatre ans après le début du déploiement de la REMP, seulement 2 210 flics de la SQ sur un total de 5 979 avaient reçu ladite formation, soit à peine un peu plus du tiers des effectifs (37 %).

Visiblement, les priorités de la SQ sont ailleurs. Idem pour l’APPQ : pas un mot là-dessus dans leur petite lettre à La Presse.

À l’évidence, les flics ne deviennent pas flics pour faire du travail social.

Par ailleurs, le « Modèle national d’emploi de la force » utilisé par la police n’est pas adapté aux interventions de crise.

L’ex-juge de la Cour suprême Frank Iacobucci déplorait en effet que les « indices de menace » énoncés dans ce document peuvent en fait correspondre à des symptômes de crise.

Enfin, les personnes atteintes de troubles mentaux ont souvent peur de la police en raison d’expériences traumatisantes avec la force constabulaire. Et la police elle-même a souvent peur de ces mêmes personnes, par manque de formation.

Le cercle vicieux de cette peur réciproque entraine son lot terrifiant de catastrophes humaines à la fois prévisibles et évitables. C’est ainsi qu’au Canada, la plupart des personnes tuées par la police étaient en crise.

Voleurs de job

Donc, les flics ne sont pas heureux d’avoir à intervenir auprès de personnes souffrant de problèmes de santé mentale, lesquelles n’ont souvent pas plus envie de voir des fonctionnaires armés débarquer avec leurs gros sabots quand rien ne va plus.

Plus absurde que ça, tu perds la carte.

Pour avoir moins de situations de crise, c’est pas compliqué : il faut investir dans les soins en santé mentale, pas dans une police déjà surfinancée.

Mais la maudite CAQ avec son populisme sécuritaire à quinze cennes veut faire exactement le contraire.

Alors que les soins psychologiques sont historiquement « l’enfant pauvre » de notre système de santé, la gang caquiste enfonce le clou en décidant de couper dans les ressources déjà insuffisantes, notamment l’hôpital de jour pour les troubles anxieux et les troubles de l’humeur et celui pour les troubles de la personnalité. Cette mesure s’ajoute aux compressions de 4,6 % imposées à l’Institut Philippe-Pinel et à la fermeture du 388, un établissement traitant et hébergeant les personnes psychotiques depuis 42 ans à Québec.

Avez-vous entendu le lobby policier dire le moindre mot pour dénoncer ces compressions débiles mentales? Ben moi non plus.

Au Canada, la plupart des personnes tuées par la police étaient en crise.

En voulant élargir leur rôle auprès de personnes souffrant de problèmes de santé mentale comme le demande l’APPQ, les flics protègent leur propre gagne-pain dans un contexte où les interventions de crise bouffent toujours plus d’heures sur leurs quarts de travail.

C’est tellement enrageant de voir que ce même lobby policier, qui disait naguère que les enquêtes sur la police, c’est pas fait pour les civil·es, insister aujourd’hui pour continuer à piquer la job d’honorables d’intervenant·es de crise.

Se prendre pour ce que nous ne sommes pas, n’est-ce pas là un symptôme de folie, docteur?

Justice pour toutes les victimes.