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Meurtre gratuit de Nooran Rezayi : guerre du récit médiatique

11.11.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 29 septembre 2025 : https://pivot.quebec/2025/09/29/guerre-du-recit-mediatique-autour-du-meurtre-gratuit-de-nooran-rezayi/

 

Meurtre gratuit de Nooran Rezayi : guerre du récit médiatique

 
Pendant que le BEI essaie de nous endormir, la police travaille à tuer la sympathie populaire envers la plus jeune victime de bavure de l’histoire du Québec.
 
Par Alexandre Popovic 

Âgé de seulement quinze ans, Nooran Rezayi est vraisemblablement la plus jeune victime de bavure policière de l’histoire récente du Québec.

Il n’était pas armé, n’avait pas menacé ou embêté quiconque et, pourtant, un flic du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL) a décidé de l’abattre de deux balles sous les yeux de ses amis, le 21 septembre dernier.

À Radio-Canada, Stéphane Wall, ex-sergent du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) qui a lui-même déjà abattu un citoyen, suggère que le flic a appuyé sur la gâchette parce qu’il ne voyait pas les mains de l’adolescent.

Que doit-on comprendre ici? Que Nooran aurait dû lire dans les pensées du flic?

Qu’il aurait dû savoir que de ne pas rendre ses deux mains immédiatement visibles aux yeux du flic, cela revenait à agiter un tissu rouge devant un taureau enragé?

Qu’il aurait dû savoir que la police est capable de tuer pour une bagatelle?

Pas facile de défendre la violence constabulaire en pareil cas.

Seulement 58 secondes se sont écoulées entre l’arrivée de la police et les tirs meurtriers, à 14 h 58. Mais ce n’est qu’à 15 h 03, donc cinq minutes plus tard, que les premières manœuvres de réanimation débutent auprès de l’adolescent ensanglanté et inconscient.

La police a été plus rapide à tuer qu’à secourir.

Elle a aussi été plus vite pour arrêter deux jeunes qui avaient simplement affiché une photo de Nooran sur le terrain d’un poste du SPAL que pour arrêter le tueur d’enfant, qui court toujours – car il est désormais en congé.

Le BEI fait péter le bullshitomètre

Le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), chargé d’enquêter sur la police et ses manquements, n’avait encore jamais donné de conférence de presse depuis qu’il est devenu opérationnel, en juin 2016.

Lorsque Brigitte Bishop, directrice du BEI, convoque les médias, deux jours après la mort de Nooran, il s’agit donc d’une grande première.

« Nous sommes un bureau indépendant », de dire madame la directrice. Pourtant, ce même BEI a demandé au SPVM de lui fournir des « services de soutien », soit des techniciens en scène de crime. Indépendant, mon œil!

Le BEI essaie de nous endormir.

« Notre priorité a été de rencontrer la famille », dira aussi Bishop. Pourtant, bien que le décès ait été constaté à 15 h 29 à l’hôpital Charles-Le Moyne, ce n’est qu’à 20 h 30, donc cinq heures plus tard, que la famille de la victime est informée de la mort du jeune Nooran. Informée non pas en personne, mais plutôt par téléphone. Priorité, mon œil!

Il n’est pas rare que l’équipe de BEI arrive sur les lieux plusieurs heures après un événement. Et ce, même lorsque l’événement survient à Longueuil, où se trouve pourtant le siège du BEI. Comment s’étonner que des gens aient pris l’initiative de collecter eux-mêmes des éléments de preuve en attendant que le BEI finisse par se montrer le bout du nez?

Bishop a aussi promis de respecter les « enjeux de confidentialité ». Pourtant, l’enquête du BEI fait elle-même déjà l’objet d’une quantité remarquable de fuites policières. Déjà, Radio-Canada et Québecor ont eu accès aux enregistrements des appels au 911 faits avant le drame, tandis que TVA a obtenu des photos des jeunes rassemblés avant l’arrivée de la police. Confidentialité, mon œil!

Opération diversion

Les circonstances plus que troublantes de cette tragédie, de même que le jeune âge de la victime, ont pris de cours les habituels apologistes de la police. Pas facile de défendre la violence constabulaire en pareil cas.

Mais la police s’active à influencer le récit médiatique pour que le public ait davantage peur des jeunes que des flics. Je m’explique.

Le 23 septembre en soirée, donc deux jours après le drame, le BEI annonçait le déclenchement d’une enquête parallèle du SPVM. L’objectif : déterminer si un crime a été commis en marge de l’intervention policière. Autrement dit, le SPVM va enquêter sur les camarades de Nooran.

Voilà qui est doublement inhabituel. D’abord, parce que les enquêtes parallèles sont généralement lancées en même temps que les enquêtes pseudo-indépendantes du BEI. Ensuite, parce que comme l’expliquait la coordonnatrice du BEI, Mélissa Amélie Plourde, dans un témoignage à la cour, « quand la personne est décédée, il n’y a pas d’enquête parallèle », en général.

La police s’active à influencer le récit médiatique pour que le public ait davantage peur des jeunes que des flics.

L’enquête parallèle va être menée par nulle autre que la Section des crimes majeurs du SPVM. Considérée comme une unité d’élite dans l’univers policier, elle enquête habituellement sur les infractions les plus graves – meurtres, enlèvements, incendies criminels, etc. Cette fois-ci, la « crème de la crème » va enquêter sur le profil des jeunes qui étaient présents lors de l’assassinat de Nooran.

Comme l’explique encore Plourde, « il y a une grande collaboration » entre le BEI et le corps policier menant l’enquête parallèle. « On donne la copie miroir de nos documents à la parallèle » et vice-versa, d’ajouter la coordinatrice du BEI.

Ainsi, le SPVM va avoir accès aux déclarations que les jeunes ont données au BEI alors qu’ils étaient rencontrés à titre de témoins, et non de suspects. Ces personnes ont-elles été informées que tout ce qu’elles diront au BEI pourra être utilisé contre elles par le SPVM? Le BEI m’a dit être « dans l’impossibilité de répondre » à cette question.

En février 2024, le BEI s’était fait taper sur les doigts par un tribunal pour violation du droit au silence de l’accusé ainsi que pour avoir enfreint son droit à l’avocat dans l’affaire Leblanc. Le tout, dans un contexte d’enquête parallèle. Si le passé est garant de l’avenir, c’est pas rassurant pantoute.

***

Daniel Renaud de La Presse, habituel relais médiatique des corps policiers, a déjà commencé à couler des informations provenant de l’enquête parallèle du SPVM ayant pour effet de « dangerosiser » les jeunes.

Le SPAL contribue aussi à la reprise du contrôle policier sur le récit médiatique, en annonçant publiquement qu’un de ses flics et sa famille sont sous protection après des menaces en ligne, ainsi qu’en spéculant sur de possibles débordement à l’occasion d’une marche de solidarité à Longueuil – qui s’est finalement déroulée dans le calme du silence samedi.

Pour la police, tuer Nooran ne suffisait pas. Elle veut maintenant liquider toute sympathie populaire envers la jeune victime.

 

 

Justice pour toutes les victimes.