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Pas d’égalité dans la mort

14.09.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 17 septembre 2024 : https://pivot.quebec/2024/09/17/pas-degalite-dans-la-mort/

 

Pas d’égalité dans la mort

Le rapport d’enquête et le projet de loi qui font suite à la mort d’Isaac Brouillard Lessard et de la policière Maureen Breau souffrent de sérieux angles morts.

Par Alexandre Popovic

Isaac Brouillard Lessard était prêt à tout pour protéger ses filles contre les pédophiles. Il a promis une mort violente à quiconque aurait le malheur de s’en prendre à elles. Plus d’un parent pourrait en dire de même.

Le problème, c’est que l’homme de 35 ans n’avait aucun enfant. Ses filles, elles n’existaient que dans sa tête. Comme bien d’autres choses, d’ailleurs.

Ce n’est un secret pour personne : Isaac Brouillard Lessard souffrait de problèmes de santé mentale.

Délires de persécution, hallucinations, désorganisation, déni de la maladie, résistance aux traitements – lesquels ne sont pas sans effets secondaires… –, agressions donnant lieu à différents verdicts de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux : l’homme n’avait pas exactement le profil d’un patient facile.

Mais Isaac Brouillard Lessard n’était pas qu’une liste de symptômes.

C’était aussi l’enfant unique d’un couple. Ses parents se souviennent d’un jeune homme drôle, intelligent, autodidacte qui excellait au soccer avant de sombrer dans la maladie. Des intervenant·es l’ont aussi décrit comme généreux et attachant, allant jusqu’à lui proposer de devenir pair aidant.

Et quand tous les acteurs et actrices se concertaient, sa prise en charge devenait efficiente. Mais le système de soins l’a échappé, quelque part entre deux vagues d’une longue pandémie.

Et le 27 mars 2023, Isaac Brouillard Lessard a asséné des coups de couteau à deux des quatre flics de la Sûreté du Québec venus l’arrêter chez lui, à Louiseville. Il a infligé des blessures qui se révèleront mortelles à la sergente Maureen Breau, 42 ans et mère de deux enfants, avant d’être lui-même abattu par les collègues de la policière.

Comme si sa vie n’avait aucune espèce d’importance

Le 4 avril suivant, les médias rapportent que le ministre de la Sécurité publique, François Bonnardel, demande la tenue d’une enquête publique du coroner sur les causes et circonstances du décès de Maureen Breau.

Comme si elle était la seule personne à avoir perdu la vie à Louiseville.

Et lorsque les médias ont couvert les audiences, c’est généralement seulement le nom de la policière qui apparaissait dans le surtitre des articles. Pourtant, la coroner Géhane Kamel a bel et bien été mandatée pour faire toute la lumière sur les deux décès.

Sans même attendre que la coroner formule ses recommandations, le ministre Bonnardel a déposé en mai dernier le projet de loi 66, unanimement surnommé « projet de loi Maureen Breau », continuant ainsi l’invisibilisation d’Isaac Brouillard Lessard.

Isaac Brouillard Lessard n’était pas qu’une liste de symptômes.

Avec cette proposition législative, le gouvernement caquiste va satisfaire une revendication de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec à l’effet d’accroître le partage d’information entre le secteur judiciaire et le système de santé. Pourtant, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels permet déjà à la police d’accéder à une foule de renseignements personnels, notamment de nature médicale.

Comme l’écrit la coroner Kamel dans son rapport d’enquête publique, les flics savaient déjà pas mal de choses avant d’intervenir auprès d’Isaac Brouillard Lessard. Ses antécédents de violence ne leur étaient pas inconnus, ni le fait qu’il était en possession d’un sabre.

Rien d’étonnant ici : la police est assise sur une véritable mine d’or de renseignements en tout genre. Mais elle en veut toujours plus et plus.

Et si l’accès à des renseignements médicaux pose vraiment problème pour la police, il faut alors se demander pourquoi aucun organisme policier n’a déposé de mémoire lors des consultations particulières de l’Assemblée nationale sur le projet de loi 3, devenu la Loi sur les renseignements de santé et de services sociaux, laquelle a été sanctionnée le 4 avril 2023, donc peu après la tragédie de Louiseville.

Tout ce faux débat sur le partage d’informations permet cependant de détourner l’attention sur les lacunes policières dans la planification de l’intervention du 27 mars 2023. M’est avis que la piètre évaluation policière du risque a bien davantage contribué au drame de Louiseville que les enjeux d’échange de renseignements.

Tirer comme un robot

Si la coroner Kamel se montre critique – avec raison – de la trajectoire de soins dispensés à Isaac Brouillard Lessard, elle se révèle pas mal moins loquace au sujet de l’utilisation de la force policière.

Ce sont pourtant les balles de la police, et non le système de santé, qui ont tué l’homme de Louiseville.

Le rapport de la coroner mentionne que les constables Constant Perreault et Frédérique Poitras ont tiré un total de 19 balles, dont onze ont atteint Isaac Brouillard Lessard, qui décédera « d’un traumatisme thoraco-abdominal par arme à feu ». L’agent Perreault a déclaré avoir « machinalement tiré […] de façon instinctive, sans compter le nombre de détonations », lit-on.

Ce sont les balles de la police qui ont tué l’homme de Louiseville.

« L’utilisation de la force mortelle l’a été en conformité avec l’enseignement donné à [l’École nationale de police du Québec] », écrit la coroner. Sans autres commentaires. L’acceptation béate de la violence policière semble ici aussi machinale et instinctive que les tirs du policier Perreault.

Isaac Brouillard Lessard tenait-il encore son couteau lorsqu’il a été atteint par le premier projectile?

Dans quelle position était-il lorsqu’il a reçu chacune des balles?

Chacun des 19 tirs était-il vraiment nécessaire?

Combien de balles ont causé des blessures mortelles?

Qui a tué Isaac Brouillard Lessard?

Vous ne saurez rien de tout ça en lisant le rapport d’enquête publique de 102 pages. Car la coroner Kamel n’en parle tout simplement pas. Pourtant, une enquête publique du coroner sert d’abord à informer le public des causes et circonstances d’un décès. Force est de constater que la coroner a passé sous silence des éléments cruciaux de la désastreuse intervention policière.

La lecture du rapport d’autopsie permettrait de connaître la localisation des plaies d’entrées, et donc de savoir si, par exemple, l’homme était de dos, de côté ou face aux flics lorsqu’il a reçu chacun des onze projectiles. Ce qui n’a rien d’un détail.

Or, la coroner a imposé une ordonnance de non-publication et de non-diffusion à l’égard de ce document. Remarquez, cette pratique n’a rien d’inhabituel. Mais raison de plus, donc, pour inclure les faits saillants de l’autopsie dans le rapport de la coroner, un document qui lui au moins est accessible au public.

Si la coroner précise quelle blessure a été mortelle pour la policière, rien n’excuse qu’elle n’en fasse pas autant à l’égard d’Isaac Brouillard Lessard.

 

Justice pour toutes les victimes.