Pendant ce temps en Irlande…

Un policier devient lanceur d’alerte et pour toute récompense, voit sa réputation trainée dans la boue. 

Montréal ? Non, l’Irlande.

L’affaire est vieille de plus de dix ans.

Et elle est encore loin d’être terminée puisqu’elle compromet maintenant la survie même du gouvernement irlandais.

Tout a commencé en 2006, avec un signalement formulé par un policier consciencieux et soucieux du respect des règles de procédure.

Cette année-là, le sergent Maurice McCabe, de la Garda Síochána, la police nationale de l’Irlande, a dénoncé un collègue, valant à celui-ci une sanction disciplinaire. (1)

Deux ans plus tard, le sergent McCabe en avait assez de voir que des collègues faisaient disparaître les points de démérite d’automobilistes disposant de « relations » – incluant certains policiers.

Une initiative peu apprécié par les supérieurs de McCabe, qui se sont mis à lui mettre des bâtons dans les roues. C’est ainsi qu’en décembre 2012, McCabe s’est vu refusé l’accès au système informatique Pulse par lequel il avait pu découvrir les traitements de faveur dont bénéficiaient certains délinquants de la route.

McCabe et John Wilson, un ex-policier, ont alors porté leurs doléances auprès du premier ministre de l’Irlande, Enda Kenny, lequel a demandé à son ministre de la Justice, Allan Shatter de se pencher sur l’affaire. Shatter a réagi en ordonnant une enquête interne. C’est John O’Mahoney, commissaire adjoint de la Garda Síochána, qui a hérité de l’enquête dont la qualité était pour le moins questionnable puisqu’il ne s’est jamais donné la peine de rencontrer les deux lanceurs d’alerte. (2)

Rendu public en mai 2013, le rapport O’Mahoney énonçait que l’enquête interne n’avait trouvé aucune preuve de corruption policière, seulement quelques « disfonctionnements administratifs ». (3) Ces conclusions ont été rejetées par le Sinn Fein, un parti d’opposition, qui a demandé la tenue d’une enquête indépendante. (4)

En janvier 2014, le commissaire de la Garda Síochána, Martin Callinan, s’est permis de qualifier publiquement les dénonciations des deux lanceurs d’alerte « d’assez dégoutantes ». (5) McCabe ne s’est pas laissé abattre pour autant, et est sorti de l’anonymat pour poursuivre son combat sur la place publique. Il a ainsi réfuté les allégations voulant qu’il ait refusé de coopérer avec l’enquête interne, un reproche qui avait d’ailleurs été repris par le ministre de la Justice Allan Shatter lui-même en pleine séance du parlement irlandais. (6) Shatter a d’ailleurs présenté ses excuses à McCabe et à Wilson par la suite pour avoir induit en erreur le parlement. (7)

Le rapport O’Mahoney a à son tour été critiqué par l’organisme de surveillance de la police nationale, Garda Síochána Inspectorate. Le rapport de cet organisme, rendu public en mars 2014, a ainsi déploré que O’Mahoney ait minimisé les allégations de McCabe. (8)

Entre-temps, McCabe est allé de l’avant avec des nouvelles allégations, plus graves celles-là. Il a ainsi affirmé que la Garda Síochána avait fait preuve de négligence lors d’enquête sur des affaires d’enlèvement, d’agression et de meurtre. Le gouvernement a alors mandaté un avocat senior, Sean Guerin, pour faire enquête, tandis que le parti d’opposition Fianna Fáil a plutôt exigé la mise sur pied d’une enquête indépendante. (9)

Comptant 337 pages, le rapport Guerin a été rendu public en mai 2014. Guerin a reproché à la Garda Síochána, ainsi qu’à l’ombudsman du corps policier et au ministère de la Justice, de ne pas avoir tenu compte des dénonciations de McCabe. (10) Éclaboussé, le ministre Shatter a démissionné du gouvernement. (11)

Le gouvernement a donné suite au rapport Guerin en mettant sur pied une commission d’investigation dirigée par un ancien juge de la haute cour, Kevin O’Higgins, pour faire la lumière sur les allégations de McCabe. Rendu public en avril 2016, le rapport O’Higgins compte pas moins de 363 pages. O’Higgins a critiqué la supervision problématique de plusieurs enquêtes menées par la Garda Síochána tout en saluant la « bonne foi » de McCabe. (12)

Cette dernière remarque au sujet de McCabe prend tout son sens à la lumière de transcriptions des audiences de la commission O’Higgins – lesquelles n’étaient pas publiques – qui ont été coulées dans les médias. Ces transcriptions ont ainsi révélées que les avocats de la Garda Síochána ont cherchés à attaquer la « crédibilité et les motivations » de McCabe devant O’Higgins. Ces avocats ont ainsi allégués que le lanceur d’alerte aurait reconnu durant une réunion avec la hiérarchie policière, tenue en 2008, que ses plaintes étaient motivées par un désir d’accabler un de ses supérieurs. Mais comme McCabe a secrètement enregistré la rencontre, il a pu faire échec à ce procès d’intention. (13)

L’affaire a connu un nouveau développement, en octobre 2016, lorsqu’un ancien relationniste en chef de la Garda Síochána, le surintendant David Taylor, a révélé l’existence d’une campagne de dénigrement orchestrée aux plus hauts échelons du corps policier, incluant l’actuelle commissaire Nóirín O’Sullivan, pour salir la réputation de McCabe. (14)

Le gouvernement a alors nommé le juge à la retraite Iarfhlaith O’Neill pour faire la lumière sur ces nouvelles allégations. (15) Contrairement aux rapports précédents, le gouvernement a décidé de rendre publique seulement certaines portions du document, soit ses conclusions et recommandations. (16) La suite donnée au rapport O’Neill a consisté à confier au juge Peter Charleton, le 8 février 2017, le mandat de tenir une commission d’investigation sur cette affaire. (17)

En instituant une nouvelle commission d’investigation, le gouvernement croyait peut-être ne plus avoir à entendre parler de cette affaire pendant quelques temps. Après tout, les audiences de la commission Charleton ne devaient pas être publiques.

Or, dès le lendemain de l’annonce de la commission d’investigation, cette saga déjà riche en rebondissements a connu une nouvelle péripétie spectaculaire.

Des médias irlandais ont ainsi révélés que Tusla, l’agence irlandaise de la protection de l’enfance, avait envoyé à la Garda Síochána, en août 2013, un rapport dépeignant McCabe comme un abuseur sexuel d’enfant. (18)

L’agence a déclaré que le nom de McCabe s’était retrouvé par erreur dans le rapport. Mais il est tout de même extraordinaire qu’il ait fallu que le plus important lanceur d’alerte de l’histoire de la police irlandaise fasse les frais de la soi-disante « erreur administrative », laquelle a été corrigée en mai 2014. (19)

L’affaire a rapidement pris une dimension politique lorsque Katherine Zappone, la ministre responsable de Tusla, a déclaré avoir informé des membres du gouvernement de l’immense cafouillage. Une affirmation qui a aussitôt intrigué les médias irlandais puisque tant le premier ministre, Enda Kenny, que la vice-première ministre, Frances Fitzgerald, avaient plaidé l’ignorance. (20)

Enda Kenny a dû faire marche arrière et reconnaitre qu’il avait donné une « information inexacte » au parlement. (21) Mais le mal était fait. Si son gouvernement a survécu de justesse à une motion de censure, le 15 février, les observateurs sont d’avis que Kenny vit sur du temps emprunté et pourrait tirer sa révérence de la scène politique après son retour d’un voyage officiel aux États-Unis, prévu au mois de mars. (22)

Entre-temps, le gouvernement a accepté que l’enquête du juge Charleton devienne publique après que McCabe et son épouse aient formulé une exigence en ce sens. (23)

Le gouvernement aurait sans doute dû opter dès le début pour une enquête publique à partir du moment où il a été informé des premières allégations de McCabe.

De toute évidence, l’absence de mécanisme de surveillance adéquat à l’égard de la police a obligé l’État irlandais à multiplier les enquêtes lorsque la force constabulaire s'est trouve confrontée à une controverse durable.

Un constat qui peut également s’appliquer au Québec, à l’heure où d'ex-policiers du SPVM ont lancé une grosse brassée de linge sale dans la machine médiatique.

On pourrait cependant chercher longtemps avant de trouver un Maurice McCabe parmi les lanceurs d’alerte du SPVM.

Car à première vue, les seules victimes qu’ils semblent défendre, ce sont eux-mêmes…

Il reste que le SPVM doit évacuer ses toxines, et ça presse.

Car les mauvaises odeurs émanant des affaires internes du SPVM commencent à rendre l’air irrespirable.

Et quand ça sent trop le renfermé, il faut ouvrir grand les fenêtres.

Et ce n’est pas en lançant de nouvelles enquêtes menées à l’abri du public que l’aération s’en trouvera améliorée.

Évidemment, une enquête publique entraine des coûts.

On ne peut toutefois pas dire que les contribuables en ont pour leur argent quand des flics, par ailleurs grassement payés, se consacrent à d’interminables guéguerres internes au lieu de servir le public.

À défaut d’une enquête publique, le gouvernement du Québec devrait au minimum rendre public tous les rapports d’enquête sur les affaires louches des affaires internes du SPVM.

Comme l’a fait le gouvernement de l’Irlande à l’égard des enquêtes qu’il a ordonné dans la saga McCabe.

 

Sources :

  1. Irish Times, “Whistleblower timeline: A decade-plus struggle for Maurice McCabe”, Feb 11, 2017, 15:50 Updated: Fri, Feb 17, 2017, 10:17.
  2. Irish Examiner, “Maurice McCabe’s noble attempt to police gardaí”, Michael Clifford, January 25 2014.
  3. The Journal.Ie, “Three ‘possible breaches’ identified in penalty points report”, May 15th 2013, 3:13 PM.
  4. Irish Times, “Penalty points inquiry was no whitewash, says Shatter”, Harry McGee, May 16 2013, 01:00.
  5. The Journal.ie, “Callinan: Whistleblowers’ penalty points allegations are ‘quite disgusting’”, Jan 23rd 2014, 1:50 PM 14,242 Updated 1.50pm.
  6. Irish Times, “O’Mahoney inquiry presented as option rather than order”, Conor Lally, Feb 26, 2014, 01:00.
  7. Irish Examiner, “Whistleblower ‘glad’ record was corrected”, March 27, 2014.
  8. Irish Examiner, “Damning report vindicates whistle blowers”, Mary Regan and Juno McEnroe, March 12 2014.
  9. The Journal, “‘Experienced criminal lawyer’ to examine garda whistleblower’s dossier of allegations”, Feb 25th 2014, 10:45 PM 22,345 Updated 10.45pm.
  10. The Independent, “Guerin report criticises Shatter for not heeding garda whistleblower”, Shane Phelan and Brian Hutton, May 9 2014 1:16 PM.
  11. BBC, “Irish Justice Minister Alan Shatter resigns”, 7 May 2014.
  12. The Journal.ie, “A shocking, sobering report leaked and then selectively reported upon by our national media”, Tom Clonan, May 12th 2016, 8:00 PM.
  13. The Irish Times, “Maurice McCabe affair - Fledgling Ministers make it clear this is a Garda mess, for gardaí to clear up”, Pat Leahy, May 21, 2016, 01:00.
  14. Irish Examiner, “Blowing the whistle on Garda wrongdoing at the highest level”, Michael Clifford, October 08, 2016.
  15. Irish Times, “High Court judge to examine Garda whistleblower claims”, Conor Lally, Oct 7, 2016, 18:05 Updated: Fri, Oct 7, 2016, 18:08.
  16. The Journal.ie, “Garda whistleblower report will not be published in full”, Feb 8th 2017, 6:25 AM.
  17. The Journal.ie, “You're hearing a lot about garda whistleblowers today - here's why”, Feb 8th 2017, 4:57 PM.
  18. Irish Examiner, “False sex allegation against McCabe circulated by Tusla following "clerical error"”, Michael Clifford, February 9 2017.
  19. The Irish Sun, “Sorry Over Sex Smear Blunder”, Kieran Dineen, 11th February 2017, 5:28 pm.
  20. Irish Times, “Maurice McCabe: How a controversy became a story about politics”, Pat Leahy, Feb 18, 2017, 01:00.
  21. Irish Mirror, “Garda whistleblower scandal: Taoiseach admits giving 'inaccurate information' about conversation with Zappone”, James Wardanita McSorley, 16:38, 14 FEB 2017.
  22. Politico, “Irish police scandal hastens end of Kenny era”, Ken Murray, 2/20/17, 1:50 PM CET Updated 2/22/17, 8:11 PM CET.
  23. BBC News, “McCabe controversy: Garda whistleblower inquiry terms agreed”, 16 February 2017.