Pour une commission d’enquête sur l’espionnage des journalistes ET des activistes

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La Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP) appui sans réserve la demande que Pascal Dominique-Legault, candidat au doctorat au département de sociologie de l’Université Laval, a formulé dans un texte publié sur le site web du quotidien Le Devoir à l’effet que le mandat de l’éventuelle commission d’enquête sur l’espionnage de journalistes par différents corps policiers récemment annoncée par le gouvernement du Québec puisse englober la surveillance exercée à l’endroit d’activistes politiques. (1)

D’ailleurs, la CRAP ne peut faire autrement que de se sentir directement interpellée par l’affaire de l’espionnage de journalistes suite à la publication d’un récent article du Journal de Montréal révélant que le Service de police de la ville de Montréal (SPVM) a lancé une chasse aux sources journalistiques lancée après la divulgation d’informations sur une opération policière controversée relativement à une manifestation contre la brutalité policière tenue à Montréal-Nord, le 6 avril 2016.

La manifestation en question visait plus spécifiquement à dénoncer le décès de Bony Jean-Pierre, 41 ans, des suites de blessures à la tête causées par une balle de plastique tirée par un policier du SPVM, à Montréal-Nord, le 31 mars précédent. La marche coïncidait avec la vigile annuelle, tenue plus tôt dans cette même soirée du 6 avril, pour souligner l’anniversaire de naissance de Fredy Villanueva, 18 ans, abattu par l’agent Jean-Loup Lapointe du SPVM, à Montréal-Nord, le 9 août 2008. Comme à chaque année, la CRAP a participé à l’organisation de la vigile, en plus de faire partie des groupes ayant apporté son appui à la manifestation du 6 avril 2016. (2)

La manifestation, faut-il le rappeler, s’est terminée sans incident. Quelques dizaines de personnes ont cependant continuées à marcher par la suite. Des vitres du Poste de quartier 39 ont alors été brisées sans que la police ne lève le petit doigt. Constatant l’inaction policière, les vandales en ont ensuite profités pour s’en prendre à d’autres cibles. Bilan : six commerces endommagés et une douzaine de voitures vandalisées, dont six véhicules incendiés. Et zéro arrestation.(3)

Lors d’une entrevue à l’émission radiophonique de Paul Arcand, au 98.5 FM, Anie Samson, responsable de la sécurité publique au comité exécutif de la Ville de Montréal, a tenu de bien étrange propos au sujet de ces incidents. (4)

« Ce qui s’est passé, dit-elle, c’est qu’on savait qu’il y avait de la casse qui était pour arriver ».

Tout aussi étonnant est le fait que Mme Samson ait estimé que l’opération policière a été un franc succès. « Elle a été contrôlé cette casse-là », s’est félicitée cette élue qui est aussi présidente de la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal.

La CRAP a aussi été franchement surprise d’apprendre l’existence d’une rumeur voulant l’associer aux débordements de l’après-manif.

En effet, quand un intervenant social de Montréal-Nord a approché des casseurs pour les questionner sur leurs gestes, l’un d’eux a eu le culot de répondre qu’il était avec la CRAP.

Contrairement au SPVM, la CRAP n’a malheureusement pas les ressources requises pour faire la chasse à la source qui a coulé cette fausse information vraisemblablement destinée à jeter le discrédit à son endroit.

Alors que le nom de la CRAP était évoqué dans la rue, c’est plutôt le Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP) que Mme Samson a pointé du doigt dans certaines de ses interventions médiatiques, en affirmant que certains de ses membres auraient été reconnus parmi les vandales. (5) Le COBP s’est défendu face à ces insinuations en reprochant au SPVM et à Mme Samson d’avoir « choisi de prendre la voie de la diffamation ». (6)

La CRAP aurait bien sûr souhaité interpeller Mme Samson publiquement au sujet de ses différentes interventions dans cette affaire. Malheureusement, l’administration Coderre a fait le déplorable choix d’abolir la période des questions du public lors des séances de la Commission de la sécurité publique de la Ville de Montréal. « Aujourd’hui, toutes les questions doivent être posées en secret, et seulement par les élus qui siègent à la Commission de la sécurité publique. Quelle honte! », s’est d’ailleurs indigné Alex Norris, lui-même vice-président de la commission. (7)

La semaine dernière, il a de nouveau été question de l’opération policière du 6 avril 2016 dans la foulée des nombreuses révélations sur l’espionnage ciblant les membres de la profession journalistique.

Ainsi, le Journal de Montréal a révélé que l’assistant directeur Mario Guérin, l’un des bras droit du chef SPVM, Philippe Pichet, est revenu sur cet événement lorsqu’il a rencontré une cinquantaine de haut gradés du SPVM derrières les portes closes du Riviera, un complexe de salles de réception à Anjou, le 26 avril. (8)

L’officier Guérin s’est montré outré du fait qu’un collègue policier ait livré des informations à un journaliste au sujet de cette opération policière controversée.

« C’est un journaliste qui a communiqué avec un de nos relationnistes média et il mentionne avec une précision incroyable des détails sur le nom des sujets arrêtés ou non arrêtés. (...) Ça veut dire que le journaliste a une information des plus privilégiée d’une personne très très très près des opérations », a lancé Mario Guérin, alors qu’il était enregistré à son insu par un officier troublé par les propos qu’il entendait.

« Il faut tenter de trouver la faille … Les intervenants de premières lignes seront rencontrés, chacun … Si il y encore du coulage, que ça soit dans n’importe quelle division, on va convoquer les cadres de la division concernée. On va descendre sur le terrain et on va aller voir qu’est-ce qui s’est passé … Il faut poser des actions pour que les acteurs impliqués [dans le coulage] sentent que ça nous préoccupe … Si ça prend des déplacements peu importe [de personnel], c’est Philippe [Pichet] qui va avoir le lead là-dedans », a-t-il prévenu.

Il est pour le moins surprenant que la direction du SPVM réagisse avec une telle nervosité à des informations coulées dans les médias qui, au fond, ne faisaient qu’énoncer ce que tout le monde savaient déjà, à savoir : la police laissé faire la casse à Montréal-Nord.

Et si les menaces à peine voilées de l’assistant-directeur du SPVM à l’endroit des cadres se voulaient plutôt un avertissement pour dissuader tout lanceur d’alerte au sein du corps policier de couler des informations encore plus délicates sur l’opération policière du 6 avril 2016 ?

La CRAP croit que la commission d’enquête annoncée par le gouvernement du Québec doit obligatoirement aller au fond des choses en ce qui regarde les motifs derrière l’annonce de la direction du SPVM de lancer une chasse aux sources journalistiques qui ont divulgués certaines informations sur l’opération policière du 6 avril 2016, à Montréal-Nord.

Au fond, la chasse aux sources journalistiques ayant mené le SPVM et la Sûreté du Québec à espionner divers représentants des médias s’inscrit dans une volonté de contrôle de l’information que les médias servent à la population, voire de cacher certaines activités difficilement avouables de la part de membres de corps policiers, notamment. Une telle opacité porte de toute évidence sérieusement préjudice à la démocratie.

La CRAP croit que les dessous de l’opération policière du 6 avril 2016 relèvent clairement de l’intérêt public, à plus forte raison que des résidents de Montréal-Nord ont vu leur voiture être incendiée sans que le SPVM ne daigne intervenir.

Qui plus est, lorsqu’un corps de police laisse aller une casse qualifiée, à toute fin pratique, de prévisible par la responsable municipale de la sécurité publique, pour qu’ensuite des activistes s’opposant aux abus policiers deviennent les boucs émissaires tout désignés du grabuge dans les médias, nous croyons être en droit de se demander si nous ne sommes pas en présence d’une opération de manipulation de l’opinion publique.

Si c’est bien le cas, la direction du SPVM a bien raison d’éprouver de la nervosité quand certains policiers osent parler aux médias.

À ceux et celles qui seraient tentés de crier à la paranoïa, nous répondrons que le SPVM a déjà eu recours par le passé à des tactiques relevant de la provocation policière à l’endroit de la CRAP.

La tentative d’infiltration de la CRAP par un agent du SPVM survenue à quelques jours du premier anniversaire du décès de Fredy Villanueva, en août 2009, n’a en effet rien d’une théorie de la conspiration. 

Cet été-là, la CRAP organisait une manifestation à Montréal-Nord, le 9 août 2009, en collaboration avec Montréal-Nord Républik, pour dénoncer cette tragique bavure policière.

Le 5 août 2009, un dénommé « Will J » a envoyé un courriel au ton plutôt agressif à la CRAP. «Mes boyz sont près a faire le war. (...) Écris-moi back pour qu'on puisse organizé kelkechose de fucktop », disait le message bourré de fautes d’orthographes.

La CRAP n’avait pourtant aucune intention de « faire le war » dans les rues de Montréal-Nord, comme en témoigne sa participation à une conférence de presse, tenue la veille de l’envoie du courriel de « Will J », lors de laquelle Wendy Villanueva, l’une des sœurs de Fredy, a lancé un appel au calme en vue de la manifestation.

La CRAP a pu faire confirmer que « Will J », alias « Will M. Joseph Junior », alias « Jimmy James », était en réalité James Noël, agent du SPVM, matricule 5787. (9)

Une recherche au niveau de l’adresse IP a en effet révélé que l’agent Noël avait utilisé un ordinateur situé au 2580 boulevard Saint-Joseph est, là où se trouvent les bureaux du Centre des communications opérationnelles du SPVM, pour envoyer deux courriels identiques à Montréal-Nord Républik, le 16 juillet 2009.

Un membre de la CRAP, a dénoncé le comportement de l’agent Noël en portant plainte au Commissaire à la déontologie policière, en mars 2010.

Lorsqu’il a été contacté par une journaliste de La Presse, le chef de la division des communications du SPVM, Paul Chablo, a fait la déclaration suivante: « Nous allons collaborer au déroulement de l'enquête du commissaire, qui déterminera si oui ou non notre intervention était justifiée ». (10)

Cette déclaration constitue un aveu de la part du SPVM confirmant que la CRAP a bel et bien fait l’objet d’une tentative d’infiltration policière.

Pourtant, la CRAP n’a rien d’une organisation criminelle. Elle est même intervenue à différentes reprises au niveau institutionnel, en participant, par exemple, à des enquêtes publiques du coroner et à des commissions parlementaires à l’Assemblée nationale.

Mais le travail de la CRAP doit déranger le SPVM.

C’est la seule explication que nous trouvons à la tentative d’infiltration du SPVM d’août 2009.

L’agent Noël avait-il pour mandat de « radicaliser » la CRAP – pour employer un mot à la mode – de façon à ce qu’elle fasse ensuite l’objet de mauvaise presse ? Voilà qui aurait eu effet de courcircuiter le message de la CRAP : quand les médias mettent l’accent sur le grabuge, la dénonciation des bavures policières tombe souvent en second plan, pour ne pas dire dans l’oubli.

Cela ne reste évidemment que des hypothèses.

Mais si ces questions restent encore aujourd’hui sans réponse, c’est parce que le Commissaire à la déontologie policière n’a malheureusement pas voulu aller au fond des choses dans ce dossier.

En effet, le Commissaire a rejeté la plainte de la CRAP, en juillet 2013, en invoquant son refus de « remettre en question les techniques d’enquête policière »

Pire : le Commissaire n’a même jamais terminé son enquête, et a plutôt « décidé d’en interrompre le cours pour les motifs élaborés dans la décision rendue », comme l’écrit Me Louise Letarte, avocate du Commissaire, dans une lettre datée du 6 août 2013.

Et comme l’enquête du Commissaire est demeurée incomplète, le plaignant a été privé de son droit de demander au Comité de déontologie policière de procéder à la révision de la décision du Commissaire.

La plainte de la CRAP méritait mieux qu’une enquête interrompue à mi-chemin sous des prétextes les plus questionnables.

Les membres de la CRAP n’ont pas à être la cible de tentatives d’infiltration de la part de la police, au même titre que les journalistes n’ont pas à faire l’objet d’opérations de surveillance policière.

Si les médias jouent un rôle essentiel dans toute démocratie, les activistes politiques aussi.

Si le gouvernement du Québec a manifesté la volonté de faire la lumière sur l’espionnage à l’endroit de journalistes, il devrait aussi en profiter pour se pencher sur la surveillance policière visant les activistes politiques.

La démocratie québécoise ne pourra que mieux s’en porter.

 

Sources:

  1. Le Devoir, « Commission d’enquête publique - Pour une surveillance continue et indépendante des opérations policières québécoises », Pascal Dominique-Legault, 4 novembre 2016.
  2. Pour lire un compte rendu détaillé des événements du 6 avril 2016 et une analyse des circonstances du décès de Bony Jean-Pierre, voir La CRAP, « Mourir d’une bavure policière à Montréal-Nord », 15 avril 2016.
  3. Métro, « Dérapage à Montréal-Nord - 6 voitures brûlées et des commerces endommagés », Romain Schué, Mise à jour : 7 avril 2016 | 13:55.
  4. http://www.985fm.ca/lecteur/audio/pourquoi-le-spvm-n-est-pas-intervenu-a-montreal-no-314668.mp3
  5. (5) La Presse, « Montréal-Nord: la non-confrontation du SPVM, "un choix stratégique"», Daphné Cameron, Publié le 07 avril 2016 à 11h51 | Mis à jour le 08 avril 2016 à 09h00.
  6. (6) COBP, « Tant qu’il y aura de la misère, il y aura de la colère », 15 avril 2016.
  7. Journal de Montréal, « Le nombre de tentatives de meurtre a explosé en 2015 à Montréal », Marie-Christine Noël, Mardi, 26 avril 2016 23:05 MISE à JOUR Mercredi, 27 avril 2016 10:06.
  8. Journal de Montréal, « Enregistré à son insu, il lance la chasse aux sources au SPVM », Félix Séguin et Jean-Louis Fortin, 1 novembre 2016 17:57 MISE à JOUR Mardi, 1 novembre 2016 17:57.
  9. La CRAP, « Le SPVM et l'affaire "Will Joseph Junior" », 10 août 2010.
  10. La Presse, « La CRAP porte plainte en déontologie contre un policier », Catherine Handfield, 27 mai 2010 à 21h52.