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Qui s’occupe des flics violeurs?

22.09.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 17 mars 2025 : https://pivot.quebec/2025/03/17/qui-soccupe-des-flics-violeurs/

 

Qui s’occupe des flics violeurs?

 
C’est le temps de casser le party du boys club policier.
 
Par Alexandre Popovic

La sentence est tombée le mois dernier : Christian Lachance, sergent au Service de police de la Ville de Québec (SPVQ), a écopé d’une peine de 28 mois d’emprisonnement. Pour viol. La victime est une collègue policière.

Lachance avait pourtant été prévenu durant ce party de police tenu dans une maison de Boischatel où l’alcool coulait à flots en cette nuit du 20 août 2021. La policière qui dort au sous-sol car trop intoxiquée, « laissez-là tranquille! », lance un flic à ses collègues éméchés. Pas compliqué à comprendre – à part pour celui qui pense avec sa bite.

« Inquiète-toé pas, on vivra pas un autre Lehoux! », d’assurer un flic pompette, en faisant allusion à ce policier du SPVQ condamné pour le viol d’une collègue survenu lors d’un autre party de police.

La remarque n’aura pas d’effet dissuasif.

Lachance est deux fois plus âgé que la jeune policière, alors incapable du moindre consentement, en plus d’être son chef d’équipe. C’est cette même policière qui avait dénoncé ce même Lachance pour harcèlement auprès d’une collègue – le sergent du SPVQ avait d’ailleurs été rencontré par ses supérieurs à ce sujet plus tôt cette même journée… Une coïncidence qui n’en est pas une?

Fraternité toxique

Lachance a été arrêté par la Sûreté du Québec (SQ) deux jours après avoir abusé de la vulnérabilité de la femme semi-comateuse.

Depuis, le sergent du SPVQ est défendu (comme Lehoux avant lui) par sa Fraternité – un nom qui sonne tellement « boys club », quoique l’organisation soit dirigée par une femme. Tandis que la victime, elle, a été ostracisée. Briser l’omerta policière, c’est mal vu.

Non seulement ça, mais en plus la victime doit elle-même contribuer à financer la défense de son violeur via une cotisation supplémentaire à cette Fraternité.

Cette politique de soutien, à l’origine mise en place pour protéger les flics de Québec contre d’éventuelles plaintes citoyennes présumées mal intentionnées, créé un petit malaise parmi les rangs policiers, mais un malaise qui s’exprime toutefois sous le couvert de l’anonymat. Une crainte de représailles qui en dit tristement long sur le climat au SPVQ.

La victime doit contribuer à financer la défense de son violeur via une cotisation supplémentaire à la Fraternité.

Lachance a prétendu avoir été agressé sexuellement par la victime… comme un certain Gilbert Rozon. Jugeant sa version « pas crédible », le tribunal a plutôt conclu que le violeur, c’était effectivement Lachance.

Monsieur le sergent se croyait tellement intouchable qu’il a même immortalisé ses abus en « selfies ». Comme un violeur doublé d’un voyeur.

N’acceptant pas le verdict ni la sentence, Lachance est allé en appel. Sa victime n’a donc pas fini de cotiser pour ses honoraires d’avocats.

#OnVousCroit (à temps partiel)

Pourquoi le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) n’a-t-il pas enquêté Lachance? Parce que la Loi sur la police le lui interdit. En matière de crimes sexuels, la juridiction d’enquête du BEI s’arrête aux crimes sexuels perpétrés durant le quart de travail policier. Cette limitation n’existe toutefois pas lorsque la victime est autochtone.

Le pouvoir d’enquêter sur les crimes sexuels, le BEI l’a reçu en catastrophe, en pleine crise à Val-d’Or, où des flics de la SQ étaient visés par des allégations d’abus, notamment sexuels, formulées par des femmes autochtones. C’était en 2016.

Après avoir donné au BEI le pouvoir d’enquêter sur les crimes sexuels commis par des flics « en devoir », le gouvernement libéral décidait, deux ans plus tard, de lui donner le pouvoir de faire exactement l’inverse : ne pas enquêter. Le tout, sans gros débat.

En effet, le BEI peut ainsi fermer un dossier sans même faire enquête lorsque son directeur estime que « l’allégation est frivole ou sans fondement ». Une décision qu’il peut prendre seul ou en consultant le Directeur des poursuites criminelles pénales (DPCP).

Le BEI a le pouvoir d’enquêter ou de ne pas enquêter sur les crimes sexuels commis par des flics « en devoir ».

De 2020 à janvier 2025, ce pouvoir discrétionnaire a été exercé par Pierre Goulet, alors directeur du BEI et ex-procureur du DPCP, lui-même poursuivi au civil par trois victimes d’agression sexuelle. Hé oui. Les faits reprochés remontent aux années 1990, alors que Goulet n’avait pas donné suite à des plaintes d’adolescents victimes d’un prédateur sexuel récidiviste.

Lorsqu’une autre procureure a pris en charge l’affaire, le pédophile a été condamné, vingt ans plus tard, à treize années et demie d’incarcération pour sa culpabilité à vingt-quatre infractions criminelles.

Et c’est à ce même Goulet que la CAQ a donné le pouvoir de vie ou de mort sur les plaintes de crimes sexuels visant des flics en fonction…

Selon des données obtenues via l’accès à l’information, le BEI a reçu 134 plaintes de crimes sexuels entre février 2018 et juin 2024. Là-dessus, 88 dossiers ont été fermés sans enquête, dont 29 sans que le directeur du BEI ne daigne consulter le DPCP. C’est donc dire que 66 % des plaintes ont été carrément ignorées par le BEI.

Au total, seulement sept flics ont été inculpés. Là-dessus, deux d’entre eux ont été trouvés coupables. Statistiquement, cela correspond à un minuscule 1 % des plaintes reçues. Quel score anémique.

Confiance difficile (sans être impossible)

Mon intention n’est pas de décourager les victimes de porter plainte, ce qui ne ferait que rendre service aux violeurs.

Dans les faits, il y a eu certains progrès depuis que le quotidien The Globe and Mail a révélé, en 2017, qu’une plainte d’agression sexuelle sur cinq est classée comme « non fondée » par la police au Canada. L’enquête journalistique a entrainé la révision de 37 272 dossiers de crimes sexuels, dont le tiers s’est avéré être mal classé. Cinq ans plus tard, le taux de plaintes « non fondées » était tombé à 8 %.

De plus en plus d’intervenant·es spécialisé·es en soutien aux victimes conseillent la police. Quand la police manque d’expertise, elle se doit de l’obtenir ailleurs. Cette approche, inspirée du « modèle de Philadelphie », a été implantée dans une vingtaine de villes canadiennes dans le cadre du programme fédéral Violence Against Women Advocate Case Review.

Programme qui, malheureusement, n’a pas été renouvelé par Ottawa dans son budget de 2024.

Le fédéral a préféré dépenser 50 millions $ pour financer une présence policière autour de la colline parlementaire. Les politiques priorisent les politiques.

Pas si « woke » que ça, finalement, la gang libérale fédérale.

Justice pour toutes les victimes.