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« Suicide par policier interposé » : un mythe qui mérite de mourir

31.10.2025

Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 25 juin 2025 : https://pivot.quebec/2025/06/25/suicide-par-policier-interpose-un-mythe-qui-merite-de-mourir/

 

« Suicide par policier interposé » : 

un mythe qui mérite de mourir

 
Pour en finir avec la science de pacotille au service de l’impunité policière.
 
Par Alexandre Popovic

J’ai été franchement déçu par le rapport d’investigation du coroner Louis Normandin sur les causes et circonstances du décès de Ronny Kay, abattu par un flic du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) le 17 septembre 2022.

L’intervention policière fatidique est survenue chez Ronny Kay, à L’Île-des-Sœurs, lorsqu’une banale chicane à propos d’un meuble a éclaté avec une ex-copine débarquée à l’improviste.

Or, la présence policière a réactivé un traumatisme chez l’homme de 38 ans, qui a alors brandi un revolver jouet en plastique que les flics ont cru être authentique.

Les deux flics ont réagi en fuyant les lieux tout en appelant des renforts. Ronny Kay est sorti lui aussi, pour ensuite tomber sous les balles d’un flic quelques minutes plus tard.

On ne trouve pas l’ombre d’une critique envers la police dans le rapport du coroner Normandin, lequel a été complété le mois dernier.

Pourtant, les flics se sont sauvés au lieu d’appliquer une méthode qui leur a été enseignée : « LICER », un acronyme signifiant « Localiser Isoler Contenir Évacuer Reddition ». Non seulement Ronny Kay a vite été perdu de vue (donc pas localisé), mais en plus, il n’a pas été isolé ni contenu.

Pas un mot du coroner non plus sur l’objectif de reddition pacifique ni même sur la désescalade.

On ne trouve pas l’ombre d’une critique envers la police dans le rapport du coroner Normandin.

Bien qu’il identifie la cause du décès comme étant « un traumatisme cardio-thoracique causé par une décharge d’arme à feu », le coroner ne parle pas d’homicide, pour plutôt conclure bêtement à un « suicide par policier interposé ».

Or, derrière chaque parole suicidaire, il y a un appel à l’aide. Le SPVM ne l’a pas entendu. Le coroner Normandin non plus. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.

Qu’on se le tienne pour dit : une personne bien décidée à en finir avec la vie n’a aucun besoin des flics. Dans le cas de Ronny Kay, l’élément déclencheur de la crise suicidaire, c’est la police. Donc pas de police, pas de crise suicidaire.

Au-delà de devoir identifier les causes et circonstances d’un décès, les coroners ont aussi pour mission de formuler des recommandations pour empêcher la répétition de tragédies évitables.

Le coroner Normandin aurait pu recommander de faire une plus grande place aux personnes civiles dans les interventions de crise. Mais non. Il n’avait rien à recommander.

Ce coroner a échoué sur toute la ligne dans sa mission.

Une théorie policière au service de la police

L’invention de l’expression « suicide by cop » est attribuée à Karl Harris, un ex-flic de Los Angeles devenu psychologue, au début des années 1980.

Le concept est formalisé, une décennie plus tard, par Clinton R. Van Zandt, un agent négociateur du Federal Bureau of Investigation (FBI).

Au Canada, Richard Parent, devenu professeur d’université après 30 ans de carrière à la police de Delta, en Colombie-Britannique, s’est fait le promoteur de la théorie du « suicide par policier interposé ».

La théorie du « suicide par policier interposé » n’est rien d’autre que de la science de pacotille au service de l’impunité policière.

Au Québec, ce rôle est joué par Annie Gendron de l’École nationale de police du Québec, qui prétend que le quart des interventions constabulaires ayant donné lieu à des tirs policiers, de 2006 à 2010, correspondent à des « suicides par policier interposé ».

Toutefois, pour Jeffrey Selbin, de l’École de droit de l’Université de Californie, la théorie du « suicide par policier interposé » n’est rien d’autre que de la science de pacotille au service de l’impunité policière.

Le professeur fait d’ailleurs un parallèle avec la notion controversée du « délire agité », également utilisée pour blanchir la police lors de bavures policières.

Contesté par le milieu médical, le soi-disant syndrome de « délire agité » est invoqué par des coroners lorsqu’une personne meure soudainement après avoir « résisté » physiquement à la police, sans que la cause du décès soit clairement identifiable.

Merci de critiquer la police

Louis Normandin n’est pas le premier coroner québécois à avaler des couleuvres policières.

Dans une thèse de maîtrise soumise à l’Université d’Ottawa, Linda Michel reproche aux coroners de démontrer une partialité pro-flic. Son étude s’appuie sur l’analyse de onze rapports d’investigation et trois rapports d’enquête publique du coroner portant sur des décès par balles causés par le SPVM, entre 2000 et 2014.

Parmi ceux-ci, Michel mentionne quatre rapports concluant au « suicide par policier interposé », dont un cas où la victime « tentait de s’enfuir lorsque l’agente du SPVM a fait feu sur lui ». Les trois autres cas n’étaient guère plus convaincants.

Heureusement, il existe encore des coroners capables d’esprit critique envers la police.

Les critiques des coroners peuvent vraiment contribuer à sauver des vies.

La thèse du « suicide par policier interposé » n’a ainsi pas été retenue par la coroner Géhane Kamel dans son rapport d’enquête publique sur le décès de Riley Fairholm, abattu à l’âge de seulement 17 ans par l’agent Joël Desruisseaux de la Sûreté du Québec (SQ) alors qu’il tenait un pistolet à air comprimé à Lac-Brome, le 25 juillet 2018.

Aussi, de plus en plus de coroners canadiens refusent de reconnaître le « délire agité » comme cause de décès.

Dans son rapport d’enquête publique sur le décès de Koray Kevin Celik, mort sous les yeux de ses parents lors d’une intervention brutale du SPVM à L’Île-Bizard, le 6 mars 2017, le coroner Luc Malouin a d’ailleurs conclu que « l’intervention policière a joué un rôle déterminant dans le décès » du jeune homme de 28 ans, au lieu d’insister sur le « délire agité ».

Ce même coroner a aussi sévèrement critiqué la Sûreté du Québec dans son rapport d’enquête publique sur le décès des sœurs Norah (six ans) et Romy (onze ans) Carpentier, tuées par leur père Martin, lequel s’est ensuite suicidé, à Saint-Apollinaire en juillet 2020.

Ses reproches à l’égard de la procrastination de la SQ en matière de recherches de personnes disparues semblent avoir récemment porté fruit.

« Ça a shaké nos boss de se faire brasser par le coroner Malouin », confiera un flic de la SQ. Une déclaration faite dans le contexte des recherches policières, fructueuses cette fois-ci, pour retrouver la fillette de LaSalle âgée de trois ans, disparue pendant trois longues journées ce mois-ci.

Les douloureuses leçons du drame de la famille Carpentier ont ainsi été mises à profit.

Comme quoi les critiques des coroners peuvent vraiment contribuer à sauver des vies.

Justice pour toutes les victimes.