Ce texte a d’abord été publié sur Pivot, le 21 juillet 2025 : https://pivot.quebec/2025/07/21/surveiller-ceuzes-qui-sont-suppose%c2%b7es-surveiller-ceuzes-qui-nous-surveillent/
Surveiller ceuzes qui sont supposé·es surveiller ceuzes qui nous surveillent
L’histoire commence le 4 avril 2018, jour où le conseil d’agglomération de la Ville de Québec approuve l’octroi d’un contrat de 140 000 $ à l’entreprise Logic-Contrôle sans passer par la procédure habituelle d’appel d’offres, invoquant « une situation d’urgence ».
C’est que le Service de police de la Ville de Québec (SPVQ) est pressé d’acquérir des caméras de vidéo-surveillance pour espionner d’éventuelles manifestations contre le Sommet du G7 devant se tenir dans Charlevoix, au mois de juin suivant.
Combien de caméras? De quel type? À quels endroits seront-elles implantées? Toutes ces informations sont gardées secrètes.
J’écris donc au SPVQ pour lui demander de se conformer aux Règles d’utilisation de la vidéo-surveillance avec enregistrement dans les lieux publics par les organismes publics de la Commission d’accès à l’information. Ces Règles mentionnent notamment que « le public visé par cette surveillance doit être informé par tout avis approprié », lesquels doivent « être placés à des endroits visibles, à une distance raisonnable du lieu surveillé ».
Les manifs, et surtout le délire paranoïaque sur la casse, n’étaient qu’un vulgaire prétexte : le SPVQ a gardé en place les « dizaines » de caméras de vidéo-surveillance, opérationnelles 24 heures sur 24, bien après que le G7 soit allé se faire voir ailleurs.
Son porte-parole déclare qu’elles pourraient filmer des événements comme le Festival d’été, le Carnaval ou le Grand Prix cycliste, en plus d’être utiles à « certaines enquêtes ». Le jackpot, quoi.
Le public a droit à la vidéo-surveillance, mais pas aux avis l’informant qu’il est filmé.
Combien de caméras? De quel type? À quels endroits seront-elles implantées? Toutes ces informations sont gardées secrètes.
Alors, le 28 mars 2019, je porte plainte à la Section de surveillance de la Commission d’accès à l’information contre un SPVQ qui se contrefout visiblement des règles. La Section de surveillance a notamment pour fonctions d’enquêter sur le respect de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels.
Et quand on parle de vidéo-surveillance, la protection des renseignements personnels soulève de toute évidence une foule d’enjeux.
Et ensuite? Rien. Il se passe que dalle. La Section de surveillance de la Commission d’accès à l’information me garde dans le noir le plus complet concernant le suivi de ma plainte.
Une commission qui porte mal son nom
Comme ma patience a des limites, je décide de prendre les devants et j’adresse une demande d’accès à l’information à la Commission d’accès à l’information. Question de savoir ce qui se passe avec ma plainte. Nous sommes alors le 16 décembre 2022.
Il faut savoir que la Commission d’accès à l’information est un organisme public lui-même soumis à la Loi sur l’accès. Et qui, malheureusement, est loin d’être exemplaire en matière de transparence. La preuve : j’essuie un refus.
Comme la Section de surveillance de la Commission d’accès à l’information ne veut rien me donner, je me tourne vers la Section juridictionnelle de la Commission d’accès à l’information. Il s’agit ici d’un tribunal administratif ayant notamment le pouvoir de réviser les décisions d’organismes publics en matière d’accès à l’information.
La Commission d’accès à l’information est loin d’être exemplaire en matière de transparence.
Le traitement de ma demande d’accès a été plutôt laborieux. En tout et pour tout, la Commission a rendu pas moins de cinq décisions différentes à l’égard de ma demande d’accès, les motifs de refus évoluant d’une fois à l’autre. Comme si l’organisme ne savait trop sur quel pied danser. Pas fort.
À force d’insistance, j’obtiens finalement une version lourdement caviardée du rapport d’enquête de la Section de surveillance sur ma plainte initiale. Le document permet surtout d’apprendre les démarches d’enquête menées dans le dossier.
Fermer les yeux en fermant le dossier
Mais ce n’est pas tout : la Section de surveillance finit aussi par se décider à me revenir sur la plainte en question contre le SPVQ et ses caméras. Nous sommes alors le 13 novembre 2024, soit deux jours avant une convocation devant la Section juridictionnelle dans mon dossier en révision m’opposant à la Commission d’accès à l’information. Un pur hasard, j’imagine.
Ainsi, cinq ans et demi après que j’aie dénoncé le SPVQ, la Section de surveillance m’informe qu’elle ferme le dossier, et ce, sans même se prononcer sur ma plainte. Incroyable, mais vrai.
Le public a droit à la vidéo-surveillance, mais pas aux avis l’informant qu’il est filmé.
Contrarié, je dépose un pourvoi en contrôle judiciaire demandant à la Cour supérieure du Québec d’ordonner à la Section de surveillance de prendre position sur ma plainte contre la vidéo-surveillance – bref, de faire sa job.
La Commission contre-attaque en déposant une requête en rejet et en irrecevabilité. Autrement dit, l’organisme demande au tribunal de rejeter mon pourvoi sans même entendre mes arguments.
L’audience a lieu en juin, par un vendredi 13. Un chiffre qui porte chance à la Commission puisque la Cour supérieure tranche en sa faveur et rejette mon pourvoi, début juillet.
Le tribunal a ainsi jugé que la Section de surveillance n’était pas obligée de mener son enquête à terme ni « de se prononcer sur la conformité des agissements du SPVQ ». Ah bon.
Mettre ses culottes face à la police
La Section de surveillance n’a pas tout le temps été aussi impotente.
En 1992, elle a conclu que la Ville de Sherbrooke contrevenait à la loi « en colligeant systématiquement des renseignements nominatifs sur support magnétoscopique sans que ceux-ci ne soient nécessaires à l’exercice de ses fonctions ».
Dix ans plus tard, la Section de surveillance a ordonné à la Ville de Baie-Comeau de « débrancher la caméra en fonction et de ne pas installer d’autres caméras sur son territoire tant qu’elle ne sera pas en mesure d’en démontrer la nécessité ».
En 2005, elle a enquêté sur la vidéo-surveillance mise en place par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) dans le Quartier latin de la métropole. « La nécessité de recourir aux caméras de surveillance n’apparaît pas démontrée », lit-on dans le rapport d’enquête, lequel conclut que « le SPVM n’a pas respecté les règles en vigueur ».
C’était pas plus difficile que ça de dire à la police ses quatre vérités.
Pour soumettre la police aux règles, la Section de surveillance de la Commission d’accès à l’information doit se comporter comme un chien de garde capable de montrer des dents au lieu d’agir comme un gentil toutou qui remue joyeusement la queue à la vue d’une grosse matraque.