La CRAP dénonce les mauvais traitements médiatiques

Les membres de la Coalition contre la répression et les abus policiers (la CRAP) ont été choqués par la couverture médiatique entourant la marche commémorative de la mort de Fredy Villanueva et le Hoodstock, et plus particulièrement par l’acharnement d’un chroniqueur montréalais bien connu, en l’occurrence Richard Martineau, qui a attaqué l’intégrité de la famille Villanueva et des organisateurs à plusieurs reprises les jours suivants ces évènements. Auparavant, il y avait bien eu Patrick Lagacé pour détruire la réputation de Dany Villanueva, frère de la victime, ou André Pratte pour dénoncer le combat mené par la famille pour que la question du profilage racial soit abordée lors de l’enquête publique du coroner Robert Sansfaçon, mais c’est certainement M. Martineau qui est allé le plus loin.

 
Il est désormais de notoriété publique que la tendance dominante des journaux de masse est à l’opinion gratuite, celle qui ne coûte rien à celui qui l’émet, même pas la plus minime responsabilité éthique. En fait, on assiste à l’effritement du journalisme d’enquête, et à la montée des vedettes de la chronique facile et du bavardage de surface. La conséquence prévisible de ce phénomène est une réduction de la qualité de l’information. Parallèlement, la fonction démocratique des médias est accablée, à chaque fois que, à coup de rhétorique et d’affirmations spectaculaires, les chroniqueurs disent aux gens comment penser. Cette situation est aggravée par le fait que les groupes de pression n’ont pas les mêmes moyens, et que l’opinion des chroniqueurs, aussi peu nuancées et peu rigoureuses puissent-elles être, finissent toujours par prendre une plus grande place dans l’espace publique. C’est donc cet espace lui-même qui se trouve appauvri par les spécialistes de l’opinion toute faite, cet espace dont la qualité est supposée être garantie non seulement par la libre circulation de l’information, mais aussi par le dévouement et la rigueur de ceux et celles qui ont comme mission de jeter une lumière critique sur celle-ci.
 
Ce n’est pas la première fois que M. Martineau se retrouve sur la sellette, et pour cause. Il gueule à gorges déployées, il rumine, accuse, insulte, il agace un peu tout le monde. On s’en doute, il prétend faire ça pour le bien de la société québécoise. Mais permettez-moi d’en douter. Le cas de Fredy est éloquent à cet égard. M. Martineau a parlé à plusieurs reprises de l’affaire dans sa chronique du Journal de Montréal, après le Hoodstock et la marche du 9 août. Le lendemain, c’était pour révéler les conclusions de son propre rapport d’enquête dans le dossier : Dany Villanueva est « le principale responsable de la mort de son frère Fredy(1). » Le surlendemain, c’était pour accuser les organisateurs de la marche de « prier pour que ça pète(2). » Sans compter ses multiples reproches sans fondement au milieu rap québécois et aux organisateurs du Hoodstock.
 
Son discours est un tissu de mensonges à peine voilé. Non, Dany Villanueva n’est pas un membre de gang de rue. Combien de fois faudra-t-il citer le juge Louis Legault(3) pour que cette fausse information cesse d’être utilisée par les médias? Non, les organisateurs ne priaient pas pour que ça pète lors de la marche du 9 août. Ça fait quatre fois que la CRAP invite la population à prendre la rue et ça fait quatre fois que tout se déroule dans le calme. La CRAP réitère à chaque événement ses intentions pacifiques. Que faut-il faire de plus? La marche s’est tellement bien déroulée que M. Martineau a dû nous prêter des mauvaises intentions après-coup, question de respecter le but qu’il s’est fixé depuis le début de la CRAP : nous faire passer pour des gens dangereux, n’ayant aucun autre message politique que celui d’encourager les jeunes de quartiers défavorisés à tout casser. Et non, surtout, non, Dany Villanueva n’est pas le principal responsable de la mort de son frère.
 
Dans la conclusion de l’article Prier pour que ça pète, M. Martineau démontre comment une opinion en apparence anodine et répandue peut devenir tendancieuse. Il nous enseigne que dans la vie, « on a toujours le choix ». Et Fredy, il a choisi de mourir? Et Dany, il était d’accord? Quel piètre sociologue ce Martineau!
 
Mais cela va encore plus loin. M. Martineau joue un jeu dangereux en martelant régulièrement son lectorat avec des affirmations à l’effet que les membres de minorités ethnoculturels seraient mieux défendus par le milieu artistique que les Blancs(4). M. Martineau alimente un ressentiment racial susceptible d’attiser dangereusement les tensions entre les communautés. Si un jour le Québec devient le théâtre d’émeutes raciales, comme l’Australie l’a été à la fin de 2005, il en portera une partie du blâme. La situation que nous avons connue avec les accommodements raisonnables nous a montré que le Québec n’était pas à l’abri de certains dérapages.
 
En l’absence d’une enquête digne de ce nom, M. Martineau se fait juge et bourreau d’un jeune qui se trouve du côté des victimes, rappelons-le. Cette manœuvre dégradante et populiste amène-t-elle quoi que ce soit au débat? Ou ne sert-elle pas plutôt le rejet des nuances et le repli du dialogue devant l’intransigeance des opinions basées sur des préjugés? Il est très difficile de croire que M. Martineau, en homme intelligent, n’ait pas pensé aux conséquences que ses affirmations auraient sur la vie des gens qu’il accuse dans son journal tiré à plus d’un million d’exemplaires.
 
Et en vérité, la société québécoise s’est donné très peu de moyens pour limiter les écarts grossiers de certains journalistes. Le Conseil de Presse est actuellement en train de traiter une plainte envoyée par Alexandre Popovic, de la CRAP, dénonçant les propos de M. Martineau. Ce que nous exigeons de Richard Martineau est qu’il offre ses sincères excuses à la famille Villanueva pour avoir tenté de la disgracier, ainsi qu’aux organisateurs du Hoodstock et de la marche commémorative de Fredy Villanueva pour avoir sali leur réputation sans motif raisonnable. Nous lui demandons aussi de faire preuve de retenue à l’avenir lorsqu’il utilisera sa tribune, afin que le journalisme d’opinion soit plus qu’une simple manière de régler des comptes ou d’épater la galerie, afin qu’il devienne ce qui nous permet de vivre dans une société où le dialogue est encore possible et où le traitement critique et responsable de l’information se porte garant de la qualité de la tradition démocratique.
 
1.       Martineau, Richard. 10 août 2009. À quand un concert pour Raymond Ellis? Journal de Montréal.
2.       Martineau, Richard, 11 août 2009. Prier pour que ça pète. Journal de Montréal.
3.       « Vous n'êtes pas membre de gang de rue, mais le tribunal comprend qu'en vous y acoquinant, en vous y associant dans des agirs (sic) criminels, ça devient un facteur aggravant », affirma le juge Louis Legault avant de lui [Dany Villanueva] imposer une sentence de 11 mois d'emprisonnement.
4.       Par exemple, voir l’article intitulé Le ras-le-bol des lecteurs, publié dans le Journal de Montréal le 13 août 2009.