La leçon d'éthique

 
Dans son article « La leçon d’anarchie », monsieur David Riendeau écrit que les activités des groupes d’activistes qui reçoivent des subventions d’associations étudiantes « sont souvent méconnues de la communauté étudiante ».Malheureusement, l’article de M. Riendeau ne permet guère d’en apprendre davantage sur les activités de ces organisations. Le Montréal Campus n’offre en effet aucune information sur les activités de la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), outre le fait de mentionner au passage les événements qui ont mené à sa création, soit la mort de Fredy Villanueva et l’émeute survenue le lendemain, à Montréal-Nord.
 
En fait, tout ce que l’article de M. Riendeau apprendra aux lecteurs du Montréal Campus sur la CRAP, c’est qu’elle compte des militants anticapitalistes et anarchistes dans ses rangs et reçoit des subventions du milieu étudiant tout en se montrant réticente à parler de ses sources de financement… enfin, c’est ce qui est insinué dans l’article.
 
Puisque le Montréal Campus ne fait pas du tout justice à la CRAP, j’aimerais profiter de mon droit de réplique pour décrire en deux mots les activités de notre coalition qui, soit dit en passant, ne s’est jamais définie comme un groupe « altermondialiste », contrairement à ce que laisse entendre l’article de M. Riendeau.
 
Reconnue personne intéressée par le coroner ad hoc Robert Sansfaçon, la CRAP joue un rôle très actif dans l’enquête publique sur la mort de Fredy Villanueva qui se tient au Palais de justice de Montréal depuis octobre dernier. La CRAP a aussi organisé deux manifestations pacifiques avec la famille Villanueva dans les rues de Montréal-Nord, en 2009 (comme quoi les subventions étudiantes ne servent pas qu’à financer des manifestations qui virent à l’affrontement et se terminent par des arrestations massives…). Enfin, le site web de la CRAP diffuse des textes d’analyse solidement bien documentés sur des problématiques d’intérêt public comme le profilage racial, les enquêtes de la police sur la police, la place des femmes dans la police et le rôle de la couronne dans l’impunité policière (http://www.lacrap.org/).
 
Cela étant dit, un certain nombre de rectifications s’imposent.
 
Dans son article, M. Riendeau donne l’impression qu’il cherche à dépeindre les activistes comme étant des gens qui ont des choses à cacher. Les groupes reçoivent « beaucoup de dons » des associations étudiantes mais donnent « peu de réponses » aux questions posées par le représentant d’un journal étudiant, écrit-il en substance. Monsieur Riendeau aurait voulut faire passer les activistes pour des êtres ingrats qu’il ne s’y serait pas pris autrement.
 
Lorsqu’il mentionne mon nom pour la première fois dans son article, M. Riendeau me présente comme étant « l’un des militants dont les groupes bénéficient le plus souvent des générosités des syndicats étudiants revendicateurs », en ajoutant, quelques lignes plus bas, une remarque à l’effet que je serais resté sur mes gardes lorsque j’ai reçu sa demande d’entrevue. Je ne suis pas sûr de bien comprendre quels sont « les groupes » non-identifiés auxquels M. Riendeau fait allusion dans l’extrait cité ci-haut. Si M. Riendeau avait en tête le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP), dont le nom revient d’ailleurs souvent dans son article, alors je tiens à préciser que je n’en fais plus parti depuis quatre ou cinq ans. (Soit dit en passant, contrairement à ce qu’a écrit M. Riendeau, le COBP n’a pas été fondé en 1997, mais bien en 1995). Au cours des nombreuses communications que j’ai eues avec M. Riendeau par internet, ce dernier ne m’a jamais demandé à combien de groupes d’activistes j’appartenais. Si le journaliste du Montréal Campus avait essayé de s’en informer en prenant la peine de me poser directement la question, il aurait alors appris que la CRAP est la seule et unique organisation à laquelle je fais parti.
 
Maintenant, il est important de souligner que ni moi, ni la CRAP, n’avons jamais refusé de répondre aux questions de M. Riendeau. De plus, je tiens également à dire que j’ai répondu promptement à la plupart des courriels qu’il a envoyés à la CRAP – six au total – en août et en septembre 2009. S’il n’est pas faux de dire que j’étais que sur mes gardes, je crois qu’il est cependant primordial ici de mettre en contexte mes appréhensions.
 
Commençons par le commencement. À première vue, la démarche de M. Riendeau m’était apparue plutôt boiteuse. « Le sujet des groupes de défense des droits de la personne m'intéresse grandement », nous a écrit M. Riendeau dans le premier courriel qu’il a envoyé à la CRAP, le 25 août 2009. « Serait-ce possible de vous poser quelques questions sur vos activités ? », demanda-t-il sans spécifier s’il voulait nous rencontrer en personne ou poser ses questions via courriel.
 
Comme la CRAP ne fait pas de véritable travail de défense de droits – comme, par exemple, accompagner des victimes d’abus policiers qui portent plainte en déontologie policière – je n’étais pas tout à fait sûr que nous pouvions vraiment lui être d’une quelconque utilité. Dans ma réponse au courriel de M. Riendeau, j’avais tenu à préciser que « nos activités relèvent davantage d'un groupe de pression que la défense de droits à proprement parler », tout en laissant la porte ouverte à ce que M. Riendeau nous pose les questions qu’il avait à l’esprit. 
 
Dans son deuxième courriel, M. Riendeau a de nouveau exprimé son intérêt à nous adresser des questions malgré le fait qu’il acceptait que nous ne correspondions pas à la définition stricte d’un groupe de défense des droits de la personne, sujet qui était pourtant sensé l’« intéresser grandement ». Monsieur Riendeau m’a alors donné l’impression qu’il ne savait pas exactement ce qu’il voulait. Surtout que, contrairement à son premier courriel, il n’était plus question pour lui de nous questionner sur les activités de la CRAP mais plutôt que je lui parle de mes motivations et de mes inspirations, ce qui me semblait relever davantage du domaine personnel.
 
Ce n’est qu’au troisième courriel de M. Riendeau, et ce, en réponse à une question que je lui ai moi-même posé, que j’ai su qu’il voulait me rencontrer « dans le cadre d'un article pour le Montréal Campus portant notamment sur divers groupes de pression ». À aucun moment, M. Riendeau n’a laissé entendre qu’il avait un quelconque intérêt envers la question plus précise du financement de la CRAP. À ce moment-là, je ne savais que trop penser de la démarche de M. Riendeau, que je trouvais un peu étrange. J’étais d’autant plus réticent à le rencontrer que mes disponibilités devenaient de plus en plus limitées à partir du mois de septembre.
 
Ma réticence s’est ensuite transformée en méfiance lorsque j’ai appris comment s’était déroulée l’entrevue que M. Riendeau avait menée auprès d’un des membres du COBP, durant la première semaine du mois de septembre. Lors de l’entrevue, M. Riendeau a montré un intérêt particulièrement prononcé envers la question des subventions versées par les associations étudiantes au COBP. D’ailleurs, il s’agissait du sujet envers lequel il semblait s’être donné la peine de faire un véritable travail de recherche, exhibant même des extraits de procès-verbal d’assemblées générales étudiantes lors desquelles des montants de subventions avaient été votés. Enfin, M. Riendeau ne cachait pas les réserves qu’il éprouvait à l’égard du fait que des cotisations étudiantes puissent servir à contribuer au financement de groupes comme le COBP.
 
Naturellement, à titre de membre de la communauté uqamienne, M. Riendeau a entièrement le droit d’être en désaccord avec la façon que sont dépensées ses cotisations étudiantes. Il m’apparaît cependant évident qu’à l’instant où M. Riendeau se met à prendre ouvertement position à l’égard du sujet particulier sur lequel il fait enquête, il cesse automatiquement de porter son chapeau de journaliste pour enfiler celui d’un étudiant politisé. En effet, M. Riendeau et le Montréal Campus ne sont pas sans savoir qu’il existe une « frontière marquée » entre les deux genres journalistiques que sont le journalisme d’opinion et le journalisme d’information.
 
À partir de ce moment-là, il était devenu clair dans mon esprit que M. Riendeau n’avait pas joué franc-jeu avec moi. Il ne s’était jamais véritablement intéressé aux « groupes de défense des droits de la personne », ni aux activités de la CRAP, et encore moins à mes motivations et mes inspirations. Depuis le début, le but recherché par M. Riendeau consistait à faire paraître la CRAP et le COBP pour des profiteurs qui se gavent de subventions étudiantes, à l’image de cette illustration franchement insultante de Dominique Morin accompagnant l’article de M. Riendeau sur laquelle les activistes sont représentés sous la forme d’un gros porc qui s’engraisse avec l’argent de cotisations étudiantes, versé par l’intermédiaire d’associations étudiantes.
 
Quand je pense à tous les efforts déployés par M. Riendeau pour cacher ses véritables intentions à la CRAP, je trouve qu’il est très mal placé pour donner des leçons de transparence aux groupes activistes. Mais il y a plus. La façon avec laquelle M. Riendeau s’y est pris pour approcher la CRAP m’apparaît être profondément questionnable sur le plan de l’éthique journalistique. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici que le guide déontologique du Conseil de presse du Québec réprouve clairement l’usage de subterfuges et autres procédés trompeurs :   

« Les médias et les journalistes doivent éviter l’utilisation abusive des procédés clandestins, l’adoption de comportements tendancieux à l’égard des acteurs des événements ou des affaires sur lesquels ils enquêtent, ainsi que de porter atteinte au droit de tout citoyen à la présomption d’innocence. Ils doivent éviter de glisser dans ce qu’on l’on pourrait appeler du « journalisme d’embuscade » où l’objectif apparaît davantage de piéger les personnes ou les instances mises en cause dans l’enquête que de servir l’intérêt public. De tels abus ont non seulement pour conséquence de banaliser la pratique du véritable journalisme, mais ils portent également atteinte à la crédibilité des médias et des journalistes, ainsi qu’à la crédibilité des informations livrées au public par suite de telles enquêtes. »

 Voyant que j’étais moi-même passé à deux doigts de tomber dans « l’embuscade » de M. Riendeau, j’ai pris l’initiative d’écrire un message pour informer les abonnés du groupe Google Groupes la CRAP, c’est-à-dire la liste de discussion de notre coalition. J’estimais qu’il était de mon devoir de partager ce que je savais au sujet des véritables intentions de M. Riendeau.
 
Maintenant, le fait que des extraits de mon message se soient retrouvées dans les pages du Montréal Campus pose de sérieux problèmes à la CRAP, et ce, pour deux raisons.
 
D’abord, notre liste de discussion n’est pas publique et les messages qui y sont envoyés sont destinés à ceux qui sont abonnés au Groupe Google la CRAP. Conséquemment, la CRAP ignore comment M. Riendeau a pu entrer en possession du texte de mon message. Nous estimons d’ailleurs être en droit de recevoir des explications complètes de la part du Montréal Campus à ce sujet. Si M. Riendeau a obtenu ce message illégalement, les conséquences juridiques pourraient être très sérieuses pour lui et le Montréal Campus. En effet, puisque nul n’est sensé ignorer la loi, alors M. Riendeau devrait savoir que le Code criminel canadien stipule que quiconque intercepte volontairement une communication privée est coupable d’un acte criminel qui est passible d’une peine de cinq années d’emprisonnement.
 
Ensuite, M. Riendeau s’est donné beaucoup de liberté en manipulant le texte de mon message. Il a enlevé un mot pour le remplacer par un autre. Il s’est permis de charcuter abondamment (les extraits cités dans Montréal Campus totalisent 83 mots alors que le texte de mon message compte 743 mots dans sa version intégrale.) Enfin, il a cité des phrases incomplètes en se gardant bien de ne pas les situer dans leur contexte. Résultat : les lecteurs du Montréal Campus ne disposaient pas de tous les motifs qui m’ont amené à faire « une critique en règle de la demande d’interview » de M. Riendeau.
 
Pour cette raison, les lecteurs du Montréal Campus ne pouvaient pas savoir à quoi je faisais précisément allusion lorsqu’ils ont lu dans l’article de M. Riendeau que j’avais écrit dans mon message que nous nous trouvions dans une « situation problématique qui pourrait porter préjudice à nos intérêts ». Et pour cause : il manquait le début de la phrase, qui disait que M. Riendeau semblait s’être donné pour mission d’exposer, dans le but de dénoncer, dans Montréal Campus l’existence du fait que des associations étudiantes financent des groupes comme le CRAP et le COBP.
 
Je tiens également à dire qu’à aucun moment dans mon message je n’ai invité quiconque à s’abstenir de répondre aux questions de M. Riendeau. En fait, l’un des buts de mon message consistait à demander conseil aux abonnés de la liste de discussion de la CRAP car j’avouais ne pas être tout à fait sûr de savoir quelle serait la meilleure approche à adopter dans une telle situation.
 
Une semaine plus tard, M. Riendeau a de nouveau contacté la CRAP par courriel pour « réitérer » sa demande d’entretien. À ce moment-là, j’ai fait suivre le courriel de M. Riendeau à madame Andréann Cossette, à l’époque également porte-parole pour la CRAP. Il avait été convenu que madame Cossette ferait le suivi auprès de M. Riendeau, qui a d’ailleurs reçu un courriel de sa part dans les heures qui ont suivi. Dans son message, madame Cossette a bien indiqué que mon emploi du temps était plutôt chargé. Elle a également invité M. Riendeau à lui fournir son plan de questions ou des détails plus précis concernant son champ de recherche, en expliquant les avantages qu’elle voyait à adopter cette façon de procéder.
 
Qu’a fait M. Riendeau après avoir reçu ce courriel ? A-t-il donné suite à l’invitation de madame Cossette ? Est-il entré en contact avec elle, ne serait-ce que pour la remercier d’avoir prit la peine de lui répondre ? Non, jamais ! M. Riendeau a complètement ignoré le courriel de madame Cossette.
 
En fait, M. Riendeau a plutôt choisi de me téléphoner à mon domicile vers l’heure du diner, le 11 septembre 2009. Ce coup de téléphone m’a surpris car je n’avais jamais donné mon numéro de téléphone à M. Riendeau. En fait, je n’ai pas l’habitude de donner mon numéro de téléphone à des journalistes. J’ai donc senti qu’il y avait là une atteinte à ma vie privée. Par ailleurs, M. Riendeau n’a pas voulu m’expliquer comment il avait réussi à obtenir mon numéro de téléphone. Peut-être l’a-t-il découvert en consultant la liste de discussion de la CRAP à laquelle il n’est pas sensé avoir accès ?
 
Malgré le culot de M. Riendeau, j’ai accepté de répondre à ses questions. Cependant, l’attitude arrogante de M. Riendeau a rendu la conversation très pénible. Ses questions se succédaient à un rythme effréné : « Confirmez-vous que vous avez reçu tel montant d’argent de la part de telle association étudiante durant tel mois, de telle année ? » Non seulement M. Riendeau s’est-il permit de me déranger chez-moi, mais en plus, il s’est montré impoli en me coupant continuellement la parole pendant que j’étais en train de répondre aux questions qu’il me posait. Vu que M. Riendeau parlait par-dessus par moi pendant que je répondais à ses questions, j’ai même dû hausser le ton à un certain moment durant la conversation pour pouvoir terminer ce que j’avais commencé à dire.
 
Dans son article, M. Riendeau a fait allusion à cette conversation téléphonique en écrivant ceci : « Alexandre Popovic s’est montré peu enclin à aborder la question du financement de la CRAP ». Je conserve un souvenir bien différent de cet entretien téléphonique. À peu près toutes les questions de M. Riendeau tournaient autour de notre financement. Lorsque M. Riendeau me demandait si la CRAP avait reçu une somme précise d’une association étudiante précise à une date précise, je lui répondais des choses comme : « c’est possible », ou encore, « si vous le dites ». M. Riendeau semblait incapable de comprendre que je ne pouvais pas connaître sur le bout de mes doigts des informations aussi précises. J’ai dû lui expliquer qu’il existait une division des tâches au sein de la CRAP et que les questions des finances ne relevaient pas de moi.
 
Par ailleurs, je n’ai aucun souvenir d’avoir dit à M. Riendeau que je ne pouvais pas identifier qui se chargeait des finances dans la CRAP, comme il l’a allégué dans son article. En fait, je savais très bien qui est-ce qui assumait cette importante responsabilité à l’intérieur de notre coalition. Monsieur Riendeau tenait à ce que je le mette en contact avec cette personne, mais je ne lui ai pas donné satisfaction pour la simple et bonne raison je n’avais aucune envie qu’un autre membre de la CRAP soit exposé à un tel manque de savoir-vivre de la part de ce journaliste qui agissait comme s’il se croyait tout permis. J’ai simplement invité M. Riendeau à nous communiquer ses questions par courriel, sans plus.
 
En conclusion, je tiens à dire que le manque d’éthique journalistique de M. Riendeau m’apparaît être tout à fait navrant. De toutes les expériences que j’ai pu vivre avec les journalistes en quinze ans de militantisme, celle que j’ai eu avec M. Riendeau a probablement été l’une des plus désagréable de toutes.
 
Alexandre Popovic
Coalition contre la répression et les abus policiers